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      Encore un contrat de commission-affiliation requalifié en contrat de travail - Brève du 28 mars 2022

      Brève
      28 mars 2022

      A nouveau une cour d’appel requalifie un contrat de commission-affiliation. L’affiliée – qui a saisi la justice après la liquidation judiciaire de la tête de réseau – obtient le statut de gérante de succursale et plusieurs dizaines de milliers d’euros d’indemnités.

      cour d’appel de Colmar – Alsace – FranceLa cour d’appel de Paris a récemment requalifié en contrat de travail un contrat de commission-affiliation.

      Dans cette affaire, la tête de réseau qui fédérait dans le prêt-à-porter une chaîne de plus de 250 magasins est placée en liquidation judiciaire en avril 2017. Quelques mois plus tard, avec onze de ses collègues, une ex-commissionnaire-affiliée s’adresse à la justice.

      Elle revendique le statut de gérante de succursale et la requalification de la rupture de son contrat en « licenciement sans cause réelle et sérieuse ». Objectif : obtenir des indemnités afin de compenser le préjudice subi par l’arrêt de l’activité.

      Trois conditions nécessaires pour la requalification du contrat de commission-affiliation

      Pour être considéré comme gérant de succursale, trois conditions doivent être remplies selon la loi (article L.7321-2 du code du travail). Il faut à la fois :

      -que votre profession essentielle consiste en la vente de marchandises fournies exclusivement (ou presque exclusivement) par une seule entreprise,

      -que votre activité s’exerce dans un local fourni ou agréé par cette même entreprise

      -que les conditions et les prix de vente soient imposés par elle.

      Dans leur arrêt du 26 janvier 2022, les magistrats tiennent d’abord à apporter une précision. Selon eux, le fait que, dans ce litige, le contrat de commission-affiliation ait été signé par la société créée pour l’occasion par l’ex-commissionnaire-affiliée et pas par elle-même en tant que personne physique ne la prive pas pour autant de ses droits individuels.

      La cour relève ensuite que, selon le contrat lui-même et un constat d’huissier, la plaignante avait bien pour profession essentielle la vente de marchandises exclusivement fournies par la tête de réseau (le commettant).

      De même, son activité se déroulait dans un emplacement bien précis dont elle ne pouvait changer sans l’autorisation de son partenaire. Pour les magistrats, on était donc bien en présence d’un « local agréé » par l’enseigne.

      Les conditions et prix de vente étaient, selon les juges « imposés » à l’affiliée

      Concernant le troisième point, à savoir les conditions et les prix de vente : les liquidateurs de la société tête de réseau font valoir pour leur défense qu’ils n’étaient « pas imposés », mais simplement « conseillés ».

      Ce n’est pas l’avis de la cour d’appel. Les magistrats notent ainsi que le contrat « fait mention de visites » (du commettant ou de ses représentants) qui peuvent conduire « en cas de manquement au concept » à ce que l’on demande à l’affilié d’y « remédier dans les plus brefs délais ».

      De même, un mobilier est imposé « suivant des plans très stricts » fournis par la tête de réseau. Un manuel « compilant les règles de fonctionnement du magasin » doit également être respecté. Les juges en déduisent que l’affiliée « n’organisait pas librement son espace de vente ». Par ailleurs, « la documentation » de l’enseigne mettait en évidence selon eux « non l’envoi de conseils, mais bien de directives précises ».

      A propos des prix, ils étaient, selon la cour, bel et bien « imposés » et non simplement « conseillés ». Ainsi, selon un procès-verbal d’huissier, le commettant « adressait des articles déjà étiquetés » à des prix « identiques à ceux affichés sur le site Internet » de l’enseigne. De même, les cartes de fidélité des clients de la boutique devaient être activées sur le site Internet de la marque « sans que l’affiliée puisse y apporter de modification ».

      Par ailleurs, seule la société tête de réseau « pouvait programmer de manière informatique (les prix qui) s’affichaient automatiquement sur la caisse lorsque la vendeuse scannait le code barre de l’article ». Dans ce contexte, la possibilité pour l’affiliée de rectifier manuellement un prix ne changeait rien au fait que ces prix étaient imposés, estiment les magistrats.

      Pour les juges, la commissionnaire-affiliée était en fait gérante de succursale

      Devenir-Franchise-DIPPour la cour d’appel de Paris (Pôle 6, chambre 6), l’affiliée exerçait donc son activité selon les conditions et les prix imposés par la société tête de réseau. « Les conditions visées à l’article L.7321-2 du code du travail étant réunies », la plaignante « est bien fondée à se prévaloir à titre personnel du statut de gérant de succursale ».

      Et ce, même si, par ailleurs, la cour admet que la tête de réseau n’imposait ni « la charge » ni « le rythme du travail de ses salariés ».  Et que l’affiliée « disposait d’une certaine liberté d’initiative et d’un pouvoir dans la gestion de sa structure » (notamment le recrutement et la gestion des employés)…

      Et la rupture de son contrat due à la liquidation de la tête de réseau équivaut à un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

      Quant à la qualification de la rupture, elle ne fait pas de doute pour la cour. Celle-ci estime en effet que la société tête de réseau « a manifesté son intention de rompre la relation contractuelle qu’elle avait nouée » avec l’affiliée, « en arrêtant sa propre activité » et la livraison de marchandises.

      Elle en déduit que cette rupture « produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse » de la gérante de succursale. Laquelle occupait donc de fait un poste de directeur de magasin.

      La cour décide en conséquence, au vu de la convention collective de référence, d’inscrire au passif de la société tête de réseau en liquidation au bénéfice de la plaignante :

      -plus de 36 000 € de rappel de salaire et 3 600 € au titre des congés payés afférents

      -plus de 5 600 € d’indemnité compensatrice de préavis et 560 € de congés payés afférents

      -près de 1 500 € d’indemnité de licenciement.

      -et enfin plus de 11 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. (Mais pas d’heures supplémentaires puisque la gérante était libre de fixer ses horaires.)

      Tous les commissionnaires-affiliés ne peuvent pas espérer les mêmes indemnités

      Comme le souligne Maître Nathalie Lefeuvre-Roumanos, avocat à la cour, dans la Lettre de la Distribution de février 2022, cet arrêt s’inscrit dans une lignée jurisprudentielle qui requalifie régulièrement les contrats de commission-affiliation.

      Pour les magistrats, les obligations imposées aux exploitants en vue de garantir le concept de l’enseigne, comme l’aménagement du magasin, la présentation des articles dans les vitrines, la mise en place d’opérations commerciales obligatoires, etc. « permettent de caractériser la subordination économique » des affiliés.

      Et pourtant, ces obligations sont, au même titre que l’homogénéité des prix, l’exclusivité d’approvisionnement et l’agrément de l’emplacement par le commettant, des éléments fondamentaux de cette formule de commerce organisé.

      « Fort heureusement pour les promoteurs de réseau », indique toutefois la spécialiste du droit, si les affiliés qui sont confrontés au dépôt de bilan de leur partenaire peuvent espérer obtenir des compensations en se tournant vers la justice, ceux dont l’activité s’est avérée profitable « pourraient avoir un intérêt plus limité à revendiquer le bénéfice (du statut de gérant de succursale) ».

      « En effet, le rappel des salaires auquel (ils peuvent) prétendre est calculé déduction faite de la rémunération brute (qu’ils ont) perçue en cours d’exécution du contrat. » Si elle a été supérieure au salaire minimum de référence, aucun rappel de salaires ne sera versé, comme cela a été jugé par la même cour d’appel de Paris ce même 26 janvier 2022.

      Référence des décisions citées :

      -Cour d’appel de Paris, 26 janvier 2022, n° 20/02038

      -Cour d’appel de Paris, 26 janvier 2022, n° 20/02065