C’est la Cour de cassation qui le dit à l’issue d’un litige opposant depuis des années un ex-franchisé Comptoir Del à LCL : la banque qui prête à un franchisé n’a pas d’obligation de mise en garde quant à la viabilité de l’opération économique financée.
La Cour de cassation a tranché définitivement le 29 septembre 2021 en faveur de la banque LCL un conflit l’opposant à un ex-franchisé Comptoir Del.
Dans cette affaire, le réseau de restauration rapide – basé notamment sur la vente de pizzas en forme de cône – est créé à Marseille en 2009. Le contrat de franchise objet du litige est signé, lui, en juillet 2011.
En février 2012, le franchisé obtient du Crédit Lyonnais (LCL) un prêt de 213 000 € afin de financer les travaux d’aménagement et l’acquisition de matériel nécessaires à son activité. Le point de vente ouvre à Lens deux mois plus tard.
Mais l’activité n’est pas au rendez-vous : en janvier 2013, la société franchisée est placée en redressement, puis, en juin, en liquidation judiciaire.
Mai 2015 : le tribunal de commerce de Marseille annule le contrat de franchise pour vice du consentement
Le 26 mai 2015, le tribunal de commerce de Marseille se prononce. Les juges constatent que le franchiseur n’a pas caché à son partenaire « le manque de rentabilité de son concept » puisqu’il lui a transmis les comptes de ses deux « pilotes » dont l’un a enregistré des pertes non négligeables.
Mais ils considèrent que le consentement du franchisé a été vicié en raison de divers « mensonges et réticences dolosives » concernant par exemple les droits du franchiseur sur sa marque ou l’absence d’état local de marché dans le DIP.
Résultat : ils annulent le contrat et condamnent le franchiseur à restituer à la société franchisée plus de 240 000 € et à verser au franchisé personnellement plus de 60 000 € de dommages et intérêts.
Les juges condamnent aussi LCL à verser 300 000 € au franchisé pour avoir manqué à ses obligations de mise en garde
Mais ce n’est pas tout. A la demande des avocats du franchisé (et du liquidateur de sa société), le tribunal de commerce de Marseille condamne la banque LCL à garantir ces sommes. C’est-à-dire à s’en acquitter en lieu et place du franchiseur.
Les juges de Marseille reprochent à la banque d’avoir « manqué à toute bonne foi contractuelle et à ses obligations d’information et de mise en garde » en accordant à la société franchisée « un crédit sans s’enquérir de la viabilité économique de l’opération de franchise projetée », alors même qu’elle présentait son « pôle franchise » comme un « partenaire privilégié » de la profession.
Pour le tribunal, LCL a également « fait preuve d’une extrême légèreté blâmable » dans l’examen de la demande de financement du candidat. Les juges estiment par exemple que la banque aurait dû tenir compte de la diminution à venir des revenus du franchisé et de son patrimoine limité. Ils concluent que « sans ces fautes la société (franchisée) n’aurait pas exploité ce restaurant sous l’enseigne Comptoir Del ». Le tribunal décide également de libérer le franchisé de l’engagement de caution qu’il a pris pour garantir son prêt à l’égard de la banque à hauteur de 122 000 € .
Sans surprise, LCL fait appel de l’ensemble de ce jugement.
Novembre 2018 : estimant que la banque n’a commis aucune faute, la cour d’appel d’Aix-en-Provence annule sa condamnation
Devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence, les avocats du franchisé font valoir leurs arguments. Pour eux, la banque, qui était partenaire du réseau depuis l’automne 2010, ne pouvait pas ignorer le manque de rentabilité du concept. Elle aurait dû notamment savoir que le prévisionnel du franchisé de Lens était irréaliste puisque le chiffre d’affaires présenté comme atteignable dès la première année n’était pas le reflet de la réalité des points de vente.
Les magistrats d’Aix ne suivent pas ces arguments. Certes, ils confirment dans leur arrêt du 22 novembre 2018, l’annulation du contrat de franchise et les condamnations du franchiseur. Mais ils infirment au contraire toutes les dispositions concernant LCL.
Ils relèvent d’abord que « le banquier dispensateur de crédit n’est pas tenu à l’égard de son client d’une obligation de conseil sur la viabilité de l’opération économique financée. » C’est d’autant plus vrai selon eux dans ce cas précis que le contrat de franchise a été conclu avant que le franchisé sollicite son emprunt. La banque « n’avait donc à se prononcer que sur la seule possibilité de financement du projet au regard des prévisions d’activité contenues dans le business plan (qui lui a été remis). » Des prévisions « dont il n’est même pas soutenu », notent-ils, qu’elles étaient fausses.
Les magistrats d’appel ajoutent que, tant au regard de ses 12 ans d’expérience du commerce – à la tête entre autres d’une brasserie – que de ses diplômes en ingénierie des affaires, le franchisé était « parfaitement à même d’apprécier les risques d’un emprunt professionnel pour la création d’une entreprise ».
Conséquence : la banque « n’avait donc, tant à l’égard de (la société franchisée) que (du franchisé lui-même) en sa qualité de caution, pas d’obligation de mise en garde, sauf s’il est établi (qu’elle) disposait d’éléments que l’emprunteur ou la caution ignorait. »
Pour les magistrats d’appel, enfin, « il ne peut être tiré aucune conséquence » du fait que la banque était l’une des partenaires du réseau Comptoir Del. Motif : « ce réseau était en voie de création, puisque la plupart des franchisés se sont installés en 2010/2011, soit peu de temps avant (le franchisé de Lens), ce qui exclut par là même que la banque ait pu avoir connaissance de l’absence de rentabilité du concept ».
Le franchisé se voit donc débouté de ses demandes et même contraint de verser personnellement (en tant que caution du prêt) un peu plus de 100 000 € au Crédit Lyonnais. Il se pourvoit en cassation.
La Cour de cassation valide la décision de la cour d’appel et rappelle la règle sur l’obligation de mise en garde
C’est ce pourvoi que la Cour de cassation vient de rejeter par son arrêt du 29 septembre 2021.
La Cour confirme d’abord la règle générale : « L’obligation de mise en garde à laquelle peut être tenu un établissement de crédit à l’égard d’un emprunteur (ne porte pas) sur l’opportunité ou les risques de l’opération financée. » Mais seulement sur « le risque de l’endettement qui résulte (du crédit accordé) » et sur son adaptation ou non « aux capacités financières » de l’emprunteur.
Elle valide ensuite le raisonnement de la cour d’appel d’Aix-en-Provence selon lequel, dans cette affaire précise, la banque « n’avait à se prononcer que sur le financement sollicité (par le franchisé) à la lumière des prévisions d’activité » qui lui ont été transmises. Et n’avait pas « à se substituer à l’emprunteur pour apprécier la viabilité de l’opération financée ».
Enfin, la Cour de cassation estime que la cour d’appel a « légalement justifié sa décision » « par une analyse précise des documents soumis à son appréciation » en considérant que « la banque ne disposait pas, au moment de l’octroi du prêt » d’informations ignorées par le franchisé emprunteur sur ses revenus, son patrimoine ou « ses facultés prévisibles de remboursement ».
Autrement dit, selon les magistrats, rien ne permettait à la banque, lorsqu’elle a donné son accord de principe pour le crédit fin 2011, de penser que le franchisé ne pourrait pas rembourser son emprunt. Elle ne pouvait pas non plus savoir que le réseau allait en 2015 être réduit à 7 points de vente après avoir revendiqué 21 ouvertures. Tandis que le franchiseur était lui-même placé en octobre de la même année en liquidation judiciaire.