Peu cher et promettant de beaux résultats à ses futurs partenaires, un concept se développait en licence de marque. Le contrat est requalifié en contrat de franchise et annulé en appel pour dol, c’est-à-dire pour tromperie volontaire.
La cour d’appel de Grenoble a récemment requalifié en contrat de franchise un contrat de licence de marque, puis l’a annulé pour dol.
Dans ce litige, le contrat est signé en novembre 2015. Attirée par la faiblesse de l’investissement, l’absence de droit d’entrée et de redevances à payer et les promesses de rentabilité, l’entrepreneuse qui n’est pas du métier s’engage. D’autant que, comme à beaucoup d’autres, la formule lui paraît présenter les avantages de la franchise sans plusieurs de ses contraintes.
Mais au lieu des 168 000 € de chiffre d’affaires moyen annuel annoncés, au lieu des 22 440 € de résultat promis avec une rémunération annuelle du responsable de point de vente à hauteur de 54 000 €, la société de l’affiliée n’atteint successivement que 45 000 € de CA en 2016, 48 000 en 2017 et 19 000 en 2018 (montants arrondis).
Elle enregistre 0 € de résultat la première année, près de 8 000 € de perte la seconde et plus de 17 000 la troisième. En décembre 2018, elle est placée en liquidation judiciaire. Elle assigne en justice la société tête de réseau et son fournisseur exclusif imposé afin, espère-t-elle, d’obtenir réparation.
Pour les juges, la licence de marque était en fait une franchise
Par son arrêt du 3 mars 2022, la cour d’appel de Grenoble donne raison à la plaignante et requalifie le contrat de licence de marque en contrat de franchise.
Selon les juges, le contrat allait beaucoup plus loin qu’une simple concession de marque. Puisqu’il mettait à la disposition de la partenaire non seulement une enseigne mais aussi un savoir-faire et une assistance pendant toute la durée du contrat (les trois piliers de la franchise, donc).
En outre la tête de réseau exigeait avec ce contrat « une présentation uniformisée des locaux », une « obligation d’approvisionnement » auprès d’un fournisseur exclusif et des « obligations particulières en matière de publicité ».
Pour la cour enfin, si aucun droit d’entrée ni aucune redevance n’ont été demandés par la tête de réseau, cela est « sans effet sur la qualification » du contrat « puisque la rémunération du (franchiseur) résulte de la vente de produits et de la location de matériels destinés à l’application du concept. »
En lieu et place d’une licence de marque « light », il s’agissait bien en réalité d’une franchise.
Le DIP était silencieux sur le marché local, le passé d’un dirigeant et les difficultés du réseau
Mais ce n’est pas tout. Les magistrats de Grenoble annulent ce contrat de franchise pour dol (volonté de tromper).
La cour pointe d’abord le « caractère lacunaire » du DIP (Document d’information précontractuelle). Le document ne contient ainsi « aucun état local du marché », rien sur le nombre d’habitants, « la composition de la clientèle selon des critères pertinents par rapport à l’objet de la franchise, la liste des concurrents dans la zone et les performances du réseau au regard de celles des concurrents. »
La cour insiste : « Il n’est pas démontré que la société (affiliée) qui créait son fonds avait des connaissances approfondies du marché local. Il appartenait donc à la société (tête de réseau) de lui communiquer les informations prévues par l’article R330-1 du code de commerce afin que la future franchisée puisse apprécier l’opportunité d’ouvrir (une unité sous cette enseigne). »
Concernant l’expérience professionnelle du franchiseur, la cour estime que les informations transmises dans le DIP ont été « parcellaires et orientées », « de nature à introduire une confusion dans l’esprit du futur franchisé ». Le document étant, selon la plaignante, silencieux quant à l’échec d’un précédent concept et les nombreuses liquidations judiciaires subies par ses affiliés.
A propos du réseau, le DIP « ne mentionne ni le nom, ni l’adresse des entreprises établies en France, ni leur mode d’exploitation, ni la date de conclusion ou de renouvellement des contrats ». « Il ne permet pas au futur licencié de prendre aisément contact avec les exploitants du réseau pour recueillir leur avis et des informations sur le service proposé, leur expérience professionnelle et la pérennité de l’activité. » Il ne mentionne pas non plus, par exemple, la liquidation judiciaire d’un centre survenue dans l’année précédant la remise du DIP.
Prévisionnels irréalistes et informations trompeuses : pour la cour « le dol est caractérisé »
Quant aux prévisionnels transmis dans le DIP : « ils traduisent un écart considérable » avec la réalité de l’exploitation de l’affiliée.
Pour les juges, « Il ne peut être soutenu que cela provient de la seule mauvaise gestion de la société (franchisée) », alors que « de nombreux franchisés ont dû cesser leur activité peu d’années après leur démarrage ou ont été placés rapidement en liquidation judiciaire (1), ce qui confirme le manque de rentabilité du concept et le caractère irréaliste des prévisionnels produits. »
En outre, la cour relève que le compte de résultat du point de vente pilote mentionné dans le DIP ne correspond pas aux comptes déposés par lui au greffe en 2013 et 2014.
En conclusion, pour la cour, « non seulement le DIP est lacunaire », mais « il contient aussi des informations tronquées ». « Ce caractère gravement incomplet et tronqué du document d’information précontractuelle au regard d’informations déterminantes sur le consentement du franchisé est révélateur de la volonté délibérée de tromper la société (franchisée) qui créait son fonds. »
En outre, à l’époque où a été signé le contrat, un des aspects de l’activité franchisée tombait sous le coup d’une pratique illégale. La société franchiseur « n’a fourni aucune information » à la société franchisée concernant ces difficultés « qui auraient été de nature à modifier son appréciation » (de) ce concept. La cour note qu’il s’agit là « d’une réticence dolosive importante ».
Pour les juges, « le dol est caractérisé ». La cour prononce la nullité du contrat liant la société franchiseur et la société franchisée.
Une série d’arrêts et plus de 475 000 € à débourser pour les sociétés condamnées
En conséquence, la société tête de réseau doit restituer à la société franchisée (à son liquidateur) près de 28 000 € correspondant aux frais liés à la mise en œuvre du contrat, plus 22 000 € liés à son fonctionnement, soit un total de 50 347 €. Le préjudice moral subi par la société franchisée est estimé à 3 000 € auxquels la cour ajoute 15 000 € pour « perte de chance d’avoir une activité rentable » (pendant trois ans). Au total, plus de 68 000 € donc.
Dernière décision de la cour : elle condamne solidairement la société tête de réseau et celle du fournisseur exclusif à assumer les conséquences des dommages subis par la société franchisée. Car le contrat et le DIP ont présenté ce fournisseur comme partie intégrante du réseau en charge de diverses fonctions, comme la stratégie marketing et merchandising, la communication, etc.
Cet arrêt de la cour d’appel de Grenoble fait partie d’une série de 7 arrêts semblables. Au total, c’est une somme de plus de 475 000 € que les deux sociétés condamnées auront à verser en restitution et dommages et intérêts. Sauf évidemment si elles se pourvoient en cassation et que la plus haute juridiction française casse les décisions de la cour d’appel de Grenoble.
(1) De source franchisée, ce réseau qui a revendiqué jusqu’à 120 unités en France a subi pas moins de 70 liquidations judiciaires…