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      L’auteur de « Carrefour la grande arnaque » invite les franchisés à « s’évader » du groupe - Brève du 24 octobre 2023

      Brève
      24 octobre 2023

      Dans son livre-choc – contesté par Carrefour – l’ancien haut-cadre juridique Jérôme Coulombel dénonce un système contractuel complexe qu’il accuse de ligoter les franchisés. Il met aussi en avant la parade qu’ils ont trouvée pour s’en sortir.

      Couverture du livre de Jérôme Coulombel aux Editions du RocherSuite à la publication du livre-choc de Jérôme Coulombel « Carrefour, la grande arnaque »*, la presse a surtout retenu la dénonciation par l’auteur des prix de gros pratiqués par le groupe à l’égard de ses clients franchisés.

      Des prix jusqu’à 20 % plus élevés, selon lui, que ceux de certaines centrales d’achats concurrentes et parfois même supérieurs à ceux affichés dans les rayons des hypermarchés du groupe, d’après d’ex-franchisés de la branche proximité.

      La faiblesse des marges des exploitants est certes l’une des critiques importantes formulées dans ce brûlot. Mais c’est loin d’être la seule. Ancien directeur juridique du service contentieux de Carrefour pour la France de 2003 à 2018, Jérôme Coulombel – qui déclare accompagner maintenant « 600 franchisés Carrefour sur 4 800 »** accumule aussi les reproches contre l’arsenal contractuel du groupe.

      Les pièges du contrat de location-gérance Carrefour, selon Jérôme Coulombel

      L’auteur pointe d’abord « la carotte » que représente à son avis le contrat de location-gérance proposé par Carrefour. Une formule alléchante censée permettre avec seulement 7 500 € de mise initiale, de gérer un fonds de commerce appartenant au groupe, d’accumuler ainsi entre 25 et 30 000 € par an et donc d’avoir constitué au bout de trois ou quatre ans l’apport nécessaire pour devenir propriétaire d’un fonds (entre 80 et 300 000 € suivant le concept).

      Cette proposition tout à fait attractive explique en grande partie le nombre important de demandes reçues annuellement par les enseignes du groupe (qui parle de 33 000) et le nombre de candidats qui signent : 250 (selon Carrefour).

      abstract blur in supermarket

      Problème pointé par l’ancien directeur juridique : ce contrat de location-gérance est d’une durée d’un an, au terme duquel il se transforme par tacite reconduction en contrat à durée indéterminée. Il peut donc alors être interrompu à tout moment, sous réserve du respect d’un préavis de trois mois… « Si un locataire ne convient pas, exit alors ses contrats de franchise et d’approvisionnement de 7 ans signés au départ. (Et s’il se retrouve dehors, il n’a pas droit aux indemnités de chômage). » 

      Enfin, une clause de non-concurrence prévoit qu’à l’expiration du contrat, le locataire ne peut pas poursuivre la même activité, même comme salarié, dans un rayon de 5 km en milieu urbain et 15 en milieu rural pendant 5 ans à compter de la résiliation. Dernier détail, précise l’auteur : « seul le bailleur peut résilier ce contrat ».

      Selon Jérôme Coulombel, l’ensemble de ces dispositions contractuelles donne au groupe « un moyen de chantage permanent » sur ses partenaires. « Se plaindre, c’est prendre le risque d’être éjecté du jeu ». Et c’est là que l’on retrouve les conditions d’exploitation imposées, les « 14 heures de travail quotidien et les 2 000 € de salaire brut non négociable », comme l’affirme un ex-franchisé. C’est tellement difficile que « des centaines de franchisés à un moment ou à un autre doivent jeter l’éponge », écrit l’auteur pour qui, « dans 80 % des cas, le locataire ne parvient pas à capitaliser suffisamment dans les trois ans » « On lui propose alors généralement un autre magasin et tout retour en arrière est impossible. Les impayés s’accumulent. »

      Un tableau noir que le groupe Carrefour conteste évidemment, préférant parler pour sa part des « milliers de partenaires » qu’il fait « bénéficier de sa croissance ».

      Des méthodes de signature des contrats et des pratiques d’approvisionnement très critiquées

      Celui qui se veut un lanceur d’alerte ne ménage pas, par ailleurs, ses critiques sur le contenu des contrats de franchise et d’approvisionnement de Carrefour.

      Il produit aussi des témoignages attestant que le groupe fait signer ces contrats et d’autres documents (« plus de 500 pages au total ») dans la précipitation, sans laisser le temps aux candidats de les étudier et il affirme – autres déclarations de témoins à l’appui – qu’il fait signer en même temps le DIP en l’antidatant, sans respecter le délai légal de 20 jours minimum entre sa remise et la signature du contrat de franchise.

      Les reproches de source franchisée ne manquent pas, non plus, à propos de l’approvisionnement : livraisons défectueuses, produits manquants (15 %, soit « trois fois plus » que chez les concurrents), marchandises « non livrées mais facturées » et difficiles à se faire rembourser etc.

      Franchise « participative » ou franchise « captive » ?

      Concept alimentaire de proximité à l'enseigne Carrefour City

      Mais ces deux contrats ne sont pas, selon l’auteur, les seuls que le groupe propose à ceux de ses partenaires en mesure de devenir propriétaires de leur fonds de commerce. Il leur fait signer aussi les statuts-type de Carrefour, valables 30 ans (99 ans pour les plus anciens), et un pacte d’associés de 30 ans également.

      Les statuts précisent que l’objet social de la société franchisée créée pour l’occasion doit être « d’exploiter un fonds de commerce sous enseigne Carrefour à l’exclusion de tout autre ». Et pour modifier cet objet social – afin par exemple de sortir du groupe – il faut, pour les SARL, une majorité des 3/4, soit 75 % des parts.

      Or, quand le franchisé crée sa société, Carrefour prend 26 % du capital soit la minorité dite de blocage (34 % pour une SA). Ce qui fait qu’il n’est pas possible – à 1 % près – à la société franchisée, de par ses statuts même, de quitter le groupe si le groupe n’est pas d’accord…

      C’est ce qu’on appelle la franchise participative, qui peut permettre il est vrai d’obtenir plus facilement un crédit auprès d’un banquier, mais comporte un revers évident. L’ancien haut-cadre parle lui plutôt de « franchise captive » !

      Quant au pacte d’associés Carrefour, il comporte selon l’auteur, une méthode d’évaluation par avance du fonds de commerce franchisé – pour le cas où il serait à vendre – qui prévoit entre autres que le franchisé propriétaire devra déduire de la somme envisagée (trois ou cinq mois de chiffre d’affaires), la part du franchiseur (ses 26 %) mais aussi et c’est plus inattendu, 10 ans de loyer et de taxe foncière… Un dispositif que Jérôme Coulombel qualifie de « spoliateur ».

      Selon l’auteur, les clauses d’arbitrage « empêchent les franchisés d’accéder à la justice »

      Dernière critique majeure : les clauses d’arbitrage. Selon l’auteur, chacun des contrats proposés par Carrefour prévoit le recours à l’arbitrage en cas de litige.

      C’est-à-dire le recours à des arbitres désignés par les deux parties, en dehors du circuit des institutions judiciaires consulaires et étatiques. Une technique coûteuse, que Jérôme Coulombel évalue à 100 000 € par contrat pour le plaignant, soit 400 000 € pour les quatre contrats des propriétaires de fonds de commerce, et ce, hors frais d’avocat !

      « De cette manière, Carrefour empêche ses partenaires d’accéder à la justice », écrit l’ancien directeur juridique. En outre, fait-il remarquer, le groupe peut « fidéliser » des arbitres, ce que ne fera pas le franchisé qui n’aura recours à eux a priori qu’une seule fois dans sa carrière. Un ensemble de faits qui expliquerait pourquoi Carrefour affirme ne connaître avec ses franchisés qu’un petit pourcent de contentieux…

      Procédure de sauvegarde : la « parade » des franchisés pour changer d’enseigne

      Devenir-Franchise-DIPPour l’ex-responsable juridique de Carrefour, tous ces dispositifs contractuels sont là, en fait, pour empêcher les franchisés de sortir du groupe et donc de passer à la concurrence.

      D’où, depuis quelques temps, le recours de certains d’entre eux, membres ou non de l’AFC Association des franchisés Carrefour créée en 2020, à une stratégie nouvelle reposant, en cas de problèmes, sur la demande d’une procédure de sauvegarde.

      Une procédure qu’un tribunal de commerce peut accorder à une société de manière à assurer sa pérennité, à condition qu’elle ne soit pas en cessation de paiement mais face à des difficultés insurmontables, financières et/ou juridiques,

      « C’est la seule parade que l’on ait trouvée pour que des franchisés Carrefour puissent quitter le groupe et rejoindre d’autres enseignes plus performantes et plus respectueuses ». Car le juge peut valider un plan de sauvegarde prévoyant un changement d’enseigne opéré après la fin des contrats de franchise et d’approvisionnement, voire « décider de résilier les contrats » en cours pour le permettre.

      Dans ce cas, sans surprise, Carrefour fait appel et se bat jusqu’en cassation pour tenter d’obtenir l’annulation de ce type de décision contraire à l’objet social de la société franchisée. En vain toutefois jusqu’à présent, comme en atteste un arrêt du 4 octobre 2023 de la plus haute juridiction française. Selon l’auteur, une centaine de franchisés seraient actuellement engagés dans une procédure judiciaire contre Carrefour et tous devraient en sortir gagnants.

      « Vers le succès du modèle coopératif »

      « A ce jour les franchisés passés sous une autre enseigne avec plus ou moins de facilité témoignent à l’unanimité de conditions d’exploitation améliorées, de marges retrouvées et de chiffres d’affaires qui s’envolent », affirme Jérôme Coulombel. Des franchisés qui, pour la plupart, ont rejoint… un groupement coopératif.

      C’est d’ailleurs la conclusion du livre. Si son auteur souhaite que les dirigeants de Carrefour corrigent le tir afin de sauver un groupe qui développe quand même « de très beaux concepts », il estime que son modèle – représenté pour une autre moitié par Casino « est en train de s’effondrer » et que « c’est très certainement vers (celui) de la coopérative que la grande distribution devra à terme se diriger afin de trouver un point de jonction plus réaliste avec les attentes des fournisseurs, des salariés et des consommateurs. »

      Fournisseurs, salariés et consommateurs dont il est aussi question dans « Carrefour, la grande arnaque ». Un livre qui intéressera nombre d’acteurs et de candidats à la franchise, même si le groupe Carrefour le rejette en bloc, estimant qu’il est signé par « un ancien collaborateur »*** qui veut surtout régler des comptes avec lui.

      *Paru aux éditions du Rocher

      **Sur 5 900 magasins au total en France selon l’auteur.

      ***Jérôme Coulombel a été blanchi le 10 janvier 2023 de toutes les accusations formulées contre lui par le groupe Carrefour en 2017 et la cour d’appel de Caen a requalifié sa « démission » de l’époque en « licenciement sans cause réelle et sérieuse » le 4 mai 2023. Décision devenue définitive.

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