Un fabricant signe avec un commerçant un contrat de partenariat pour l’ouverture d’une boutique. Comme la loi le prévoit, il délivre à son futur partenaire un document d’information précontractuelle. Mais il omet de préciser que le réseau ne compte encore que deux unités… Le contrat est annulé.
La cour d’appel d’Amiens a décidé le 26 octobre 2023 d’annuler un contrat de partenariat.
Dans ce litige, un contrat de 5 ans est signé en décembre 2015 entre un fabricant et un distributeur pour l’ouverture d’un point de vente dans une petite ville.
Le succès n’est pas au rendez-vous et en octobre 2017, la société du partenaire résilie le contrat. En juin 2018, elle est placée en liquidation judiciaire.
Un an plus tard le liquidateur entame une procédure à l’encontre de la tête de réseau en demandant la requalification du contrat de partenariat en contrat de franchise, son annulation pour vice du consentement et des dommages et intérêts.
Débouté en première instance, il fait appel.
Ce contrat de partenariat n’était pas, selon les juges, un contrat de franchise dissimulé
La cour d’appel d’Amiens refuse de requalifier le contrat de partenariat.
Certes, reconnaissent les magistrats, il « contient certaines caractéristiques du contrat de franchise ».
Ils notent ainsi qu’un « guide des bonnes pratiques » a été remis au partenaire avec un paragraphe sur le choix de l’emplacement.
De même, le partenaire – à qui était confié un territoire exclusif dans un périmètre de 10 kilomètres autour de son point de vente – devait s’approvisionner quasi-exclusivement (80 %) auprès du fabricant.
Le contrat prévoyait également une coopération entre les parties en matière de communication.
Mais pour les juges, « ces éléments sont insuffisants à permettre une requalification (du contrat de partenariat) en contrat de franchise ».
Un contrat souple et peu onéreux
Pour trois raisons : d’abord « la souplesse du contrat facilement résiliable » moyennant le respect d’un délai de préavis de trois mois. « La partie qui résilie n’étant redevable d’aucune indemnité à l’autre. »
Ensuite le fait que le partenaire ait la possibilité de commercialiser (à hauteur de 20 %) d’autres produits que ceux du fournisseur.
Enfin, le fait qu’il soit « peu onéreux, le coût étant limité à un droit d’entrée (de 3 000 €) et au paiement d’un service d’accompagnement » (absence de redevances sur le chiffre d’affaires).
Les juges notent encore que « les prix de revente étaient proposés et non imposés ». Et que le réseau apparaissait clairement comme un réseau de partenariat sur les sites internet spécialisés et dans la presse régionale, y compris à l’occasion d’une interview du partenaire lui-même.
« En conséquence, ni le contenu du contrat ni sa mise en œuvre ne justifient la demande de requalification du contrat de partenariat en contrat de franchise », écrit la cour dans son arrêt.
Le partenaire n’a pas été réellement informé sur l’état du réseau…
La cour d’appel d’Amiens annule en revanche le contrat de partenariat pour vice du consentement.
Ce type de contrat est soumis comme le contrat de franchise aux articles du code de commerce concernant l’information précontractuelle (articles L.330-3 et R.330-1).
Certes, reconnaît la cour, il ressort des documents contractuels que la tête de réseau « a respecté en majeure partie les obligations mises à sa charge » en la matière.
Toutefois, elle lui reproche d’avoir mentionné au chapitre « présentation du réseau » que celui-ci n’était « composé que de commerçants indépendants travaillant dans leur boutique pour leur propre compte », sans préciser que ce réseau était au tout début de son développement. Une information que le futur partenaire « ne pouvait identifier ».
Ce faisant, le commerçant « a pu sérieusement croire qu’il intégrait un réseau préexistant, circonstance rassurante dans le cadre de la reconversion professionnelle qu’il annonçait dans sa lettre de candidature. »*
…et pas davantage sur l’état du marché local : le contrat est annulé
La cour admet que « la date de création de l’entreprise du fabricant et les étapes de son évolution, ainsi que toutes les indications permettant d’apprécier l’expérience professionnelle de cette société figurent bien dans le DIP » remis au futur partenaire.
En revanche, ajoute-t-elle, « ces informations ne sont pas complétées par une présentation de l’état général et local du marché des produits devant faire l’objet du contrat et des perspectives de développement de ce marché. »
« En présence d’un réseau en début de structuration, une présentation du marché local aurait permis au futur partenaire de mieux apprécier l’état de la concurrence sur (sa ville) et dans les environs. »
Plus encore : « s’il avait eu connaissance » de ces informations, cela « aurait pu l’amener à ne pas contracter ou à contracter à des conditions différentes ».
De même, cela aurait pu permettre à son expert-comptable « d’être plus mesuré dans l’établissement des prévisionnels ».
Car pour la cour, le chiffre d’affaires des deux boutiques données en référence par le fournisseur « n’était révélateur que d’un marché local dans des régions touristiques à fortes densités de population »… à la différence de la ville du partenaire, comptant 15 000 habitants dans le département du Doubs.
En conséquence, conclut la cour, il y a lieu de prononcer la nullité du contrat de partenariat de décembre 2015 pour vice du consentement.
Le liquidateur de la société partenaire n’obtient toutefois que très peu d’indemnités
Le fournisseur est condamné à verser au liquidateur de la société partenaire la somme de 3 600 euros correspondant aux frais de formation acquittés par celui-ci.
La cour déboute en revanche le plaignant de ses autres demandes. Les sommes de 34 000 € au titre des apports versés par l’exploitant pour permettre la poursuite du contrat et de 40 000 € (montants arrondis) au titre du prêt d’équipements souscrit par la société partenaire « n’étant pas des sommes servies à (la tête de réseau), il ne peut être fait droit à leur demande de restitution ».
De même, la cour écarte la demande de 130 000 € correspondant à la marge perdue en 2016 et 2017. Au vu d’un courrier du fournisseur, les juges notent que le partenaire vendait ses produits à des prix de 20 à 30 % inférieurs aux prix conseillés par la tête de réseau. Pour eux, il est donc « établi » que cette perte de marge « trouve sa cause au moins pour partie dans le non-respect (par le partenaire) des conseils prodigués ».
Enfin, la cour écarte la demande de dommages et intérêts pour préjudice moral, celui-ci n’étant pas davantage démontré à son avis.
*Une autre cour d’appel aurait pu juger à ce sujet que le candidat à la franchise « aurait dû mieux se renseigner ». Pas la cour d’appel d’Amiens, pour qui le futur franchisé « n’était pas présumé remettre en cause les informations communiquées dans le document (pré)contractuel portant sur l’existence d’un réseau, de sorte qu’il ne peut lui être fait grief de ne pas s’être renseigné, l’obligation d’information étant à la charge du fournisseur. »