Récemment, la cour d’appel de Paris a rendu plusieurs décisions allant dans le sens d’une interprétation stricte du droit européen et français en matière de non-concurrence après le contrat. Avec à la clé un renforcement des contraintes pour les franchiseurs.
Dans trois arrêts récents, la cour d’appel de Paris s’est prononcée à propos de clauses de non-concurrence et/ou de non-affiliation post-contractuelles.
Ces clauses – qui interdisent aux franchisés de poursuivre leur activité (en solo ou en réseau) sur un territoire donné et pendant un certain temps après la fin de leur contrat – font l’objet d’un encadrement par des textes européens et français. Et, dans leur application, la justice semble de plus en plus sévère envers les franchiseurs.
Un département est une zone trop vaste pour une clause de non-affiliation
La cour d’appel de Paris (Pôle 1, chambre 2) vient ainsi, le 22 novembre 2018, de considérer comme « non-écrite » la clause de non-affiliation post-contractuelle insérée dans le contrat d’une franchise de services.
La clause interdisait au franchisé de rejoindre un réseau directement concurrent pendant une durée d’un an à compter de la fin du contrat et dans le périmètre du département où il exerçait son activité. Selon la cour, la clause aurait dû, pour être conforme, être limitée aux locaux où le franchisé avait exercé.
Les magistrats ont estimé que la loi du 6 août 2015, dite loi Macron, inspirée du droit européen, devait s’appliquer. Car même si le contrat en question avait été signé en 2012, le législateur avait prévu une période transitoire d’un an afin de permettre l’adaptation des contrats en cours.
Rappelons que, issu de cette loi, l’article L 341-2 du Code de commerce, invoqué par la cour, dispose que « toute clause ayant pour effet, après l’échéance ou la résiliation d’un contrat (de commerce en réseau) de restreindre la liberté d’exercice de l’activité commerciale de l’exploitant (…) est réputée non écrite »... Sauf si elle remplit quatre conditions cumulées :
-concerner uniquement les « biens et services objet du contrat »,
-être limitée « aux terrains et locaux à partir desquels l’exploitant exerce son activité pendant la durée du contrat, »
-être « indispensable à la protection du savoir-faire substantiel, spécifique et secret transmis dans le cadre du contrat »,
-ne « pas dépasser une durée d’un an après l’échéance ou la résiliation du contrat ».
A noter que, si le texte de l’article L 341-1 du même Code fait référence explicitement, pour déterminer les réseaux concernés, à « l’exploitation d’un magasin de commerce de détail », il s’agit dans ce litige d’une activité d’agence immobilière. Selon les juges, la loi concerne donc bien le commerce de détail au sens large du terme.
Un rayon de 30 kilomètres est trop étendu pour une clause de non-concurrence
Auparavant, le 3 octobre 2018, la cour d’appel de Paris (Pôle 5, chambre 4 cette fois), avait annulé la clause de non-concurrence et de non affiliation post-contractuelle d’un réseau de la grande distribution.
Certes la clause était limitée dans le temps (à un an après la fin du contrat) et dans son objet (la distribution alimentaire). Mais elle concernait un rayon de 30 km en zone rurale. Une limitation que la cour a estimé « disproportionnée par rapport aux intérêts » du franchiseur et portant une « atteinte excessive » aux franchisés.
Selon la cour, « une interdiction d’exercer l’activité identique dans les locaux mêmes où étaient exercées les activités sous franchise (s’avérait) en l’espèce suffisante pour éviter tout risque de confusion entre les enseignes (…) après la fin du contrat ».
Si, comme c’est probable, la Cour de cassation est saisie, il sera intéressant de voir si elle confirme cette décision dans la mesure où, généralement, elle accepte jusqu’à présent des limitations au territoire concédé et pas forcément aux seuls locaux du franchisé.
Il est vrai que, dans ce litige, la cour d’appel de Paris a pris soin de justifier l’application stricte du droit européen en considérant que « figurant dans tous les contrats » (de ce réseau national), la clause était « susceptible d’affecter la totalité du territoire français, partie substantielle du marché de l’Union ». Par ailleurs, le contrat en question ne prévoit pas de zone d’exclusivité réservée au franchisé (qui aurait pu servir de référence).
Limitée aux locaux du franchisé, une clause de non-concurrence est validée
Toutes les clauses de non-concurrence post-contractuelles ne sont pas pour autant annulées par les tribunaux. Ainsi, ce même 3 octobre dernier, la même cour d’appel de Paris (Pôle 5, chambre 4) a validé, dans 7 contrats de franchise, une clause qui interdisait aux franchisés « d’exercer et/ou de s’intéresser à une activité similaire en tout ou partie à celle du franchiseur, dans le ou les locaux (où exerçait le franchisé) pendant un an après la fin du contrat ».
La cour a considéré que la clause était correctement limitée à la fois dans le temps, dans l’espace et dans son objet. Une durée d’un an dans les locaux du franchisé étant conforme aux droits européen et français.
Quant à la mention « tout ou partie » qui, selon les franchisés, rendait la limitation « disproportionnée », « elle signifie, expliquent les magistrats, que si l’ancien franchisé exerce une activité dont une partie seulement est similaire et donc concurrente à celle exercée précédemment, alors il tombe sous le coup de l’interdiction, même s’il exerce d’autres activités en même temps, et pour cette activité seulement ». La clause est donc, pour la cour, justement limitée dans son objet.
Des clauses « inhérentes à la franchise », mais qui doivent rester « proportionnées »
S’ils valident cette clause de non-concurrence, les magistrats annulent en revanche la clause de non-réaffiliation post-contractuelle des mêmes contrats. Clause qui, quant à elle, interdisait aux franchisés de « s’affilier, adhérer, participer (…), se lier à (…) ou créer (…) un réseau concurrent du franchiseur (…) pendant un an à compter de la cessation du contrat et pour le territoire de la France métropolitaine ».
Jugée « insuffisamment limitée dans l’espace », la clause n’est pas valable.
« Les clauses de non-affiliation ou de non-concurrence post-contractuelles peuvent être considérées comme inhérentes à la franchise », rappellent sous forme de principe les magistrats de Paris, « dans la mesure où elles permettent d’assurer la protection du savoir-faire transmis qui ne doit profiter qu’aux membres du réseau et de laisser au franchiseur le temps de réinstaller un franchisé dans sa zone d’exclusivité. »
« Ces clauses doivent cependant rester proportionnées à l’objectif qu’elles poursuivent », concluent les juges.