Le tribunal de commerce de Rennes vient de rendre son verdict. Si Domino’s Pizza France est condamnée à revoir trois points de certains contrats de franchise Pizza Sprint, le Ministère de l’Économie est débouté de ses autres demandes. Il en est de même des 36 franchisés intervenants volontaires dans la procédure.
Le tribunal de commerce de Rennes vient de se prononcer, le 22 octobre 2019, dans le conflit qui oppose depuis mars 2017 le Ministère de l’Économie au groupe de franchise Domino’s Pizza. On s’en souvient : dans le cadre d’une enquête réalisée entre 2013 et 2016 au sujet de 12 réseaux de franchise (de restauration rapide notamment), la Direction de la Concurrence (DGCCRF) s’est intéressée aux relations entre le franchiseur et les franchisés du réseau Pizza Sprint repris en janvier 2016 par Domino’s Pizza.
Pour le Ministère, une dizaine de clauses du contrat Pizza Sprint (maintenues par Domino’s Pizza) « imposent aux franchisés de nombreuses obligations venant limiter leur liberté et leur autonomie commerciale, hors de proportion avec les règles habituelles de fonctionnement d’une franchise et les usages nécessaires à la préservation de la marque exploitée ».
Porteuses donc d’un « déséquilibre significatif », elles sont pour Bercy contraires au Code de commerce, « confèrent à l’ensemble du contrat un caractère significativement déséquilibré et génèrent la soumission des franchisés (…) ».
Les 3 points à revoir : Intuitu Personae, modalités de résiliation du contrat et fixation des prix de vente
Dans son jugement, le tribunal reconnaît le caractère déséquilibré de deux clauses et d’une pratique :
1/La clause dite d’intuitu personae (contrat conclu en fonction de la personne).
Vu la taille du réseau Pizza Sprint (89 points de vente à son apogée en 2015 dont 78 appartenant à 60 franchisés), il se peut tout à fait, estiment les juges, que des franchisés se soient engagés en fonction de la personne du franchiseur fondateur du réseau. « Un bon équilibre du contrat aurait dû permettre aux franchisés, en cas de modification de l’actionnariat ou des dirigeants du franchiseur, de résilier sans indemnité le contrat de franchise. »
2/ Les modalités de résiliation et de cessation du contrat.
En cas de résiliation par le franchiseur (pour faute du franchisé) le contrat prévoit que ce dernier doit verser à la tête de réseau une indemnité calculée sur le montant des redevances dues jusqu’au terme normal du contrat avec un plancher de 50 000 €. En revanche, pour le franchisé, « aucune indemnité (n’est) due à l’expiration (de son) contrat, qu’elle qu’en soit la cause ». Pour le tribunal, cette dernière notion « crée très évidemment un déséquilibre, par exemple dans le cas d’une résiliation aux torts du franchiseur ».
3/La fixation des prix de vente.
Pour le tribunal, « les franchisés se heurtaient à de nombreuses difficultés quand ils souhaitaient changer les prix recommandés par la tête de réseau ». Celle-ci « aurait dû développer un outil informatique lui permettant (de faire évoluer ses conseils sur les prix de vente) sans toucher à l’indépendance des franchisés (en la matière) ». Elle aurait « dû également faire en sorte que les commandes en ligne passées par les clients ne se fassent pas sur la base d’un prix identique à tout le réseau, mais que les prix pratiqués par chaque point de vente puissent être appliqués aussi aux commandes web. »
Les juges ajoutent que « cette défaillance du franchiseur, que le tribunal considère comme ayant été sciemment menée, constitue (…) une tentative de soumission au sens (…) du Code de commerce. »
Pas de déséquilibre significatif 6 fois sur 9, pas de déséquilibre général du contrat selon les juges
En revanche, le tribunal déboute le Ministère de ses autres demandes et ne constate pas de déséquilibre significatif dans les clauses concernant l’aménagement du point de vente, l’approvisionnement, la détention d’un stock minimum, la facturation des publicités, la facturation de certains travaux non prévus au contrat, l’assistance et la formation (même si la formation continue est reconnue défaillante).
Sur l’aménagement par exemple, le Ministère estime que les franchisés sont de fait obligés de passer par une filiale du franchiseur. Faux estime le tribunal, puisque certains ont pu faire autrement. Pour Bercy, il y a eu aussi surfacturation des travaux. Pas démontré aux yeux des juges.
A propos de l’approvisionnement, le Ministère affirme que l’obligation faite aux franchisés de se fournir à près de 90 % auprès d’une filiale du franchiseur a donné lieu à un déséquilibre (produits imposés alors qu’ils ne sont pas indispensables à l’image du réseau, surcoûts par rapport aux prix pratiqués par des grossistes, marges substantielles réalisées par le fournisseur aux dépens de celles des franchisés). Le tribunal écarte ces arguments car « fondés sur les seules déclarations des franchisés et non corroborés par des preuves ».
De même, le stock minimum imposé ne lui paraît pas anormal, pas plus que les différentes facturations contestées par le Ministère et les franchisés, ces derniers étant, selon lui, libres de payer ou non.
Les juges ne constatent pas davantage de « soumission ou tentative de soumission » concernant notamment les modalités de contrôle des points de vente (par clients-mystères ou animateurs).
Les franchisés, qui réclamaient la nullité de leurs contrats et d’importantes sommes, sont déboutés
Résultat : le tribunal « déboute le Ministre de 6 de ses demandes principales relatives au déséquilibre significatif ». Et ajoute que les 3 points à revoir « ne suffisent pas à constituer » le caractère déséquilibré de l’ensemble du contrat (qui aurait pu entraîner sa nullité).
Les juges prononcent donc, « pour les (14) contrats au sujet desquels (la demande de Bercy) est recevable(1), la nullité des clauses relatives à l’intuitu personae et aux modalités de résiliation et de cessation » et ordonnent au franchiseur de les modifier dans les contrats existants ou à venir. Le tribunal « ordonne » aussi à l’enseigne « de permettre aux franchisés, grâce à un outil informatique adapté, de pratiquer leurs propres prix de vente ».
Toutefois, les juges déboutent le Ministre de toutes ses autres demandes, dont celle, rappelons-le, d’une sanction de deux millions d’euros à l’encontre de Domino’s Pizza.
Enfin, même s’il admet que les franchisés et ex-franchisés Pizza Sprint appuient le Ministère dans sa démarche, le tribunal considère comme « irrecevables » les demandes de 27 d’entre eux (sur 36) parce qu’ils « élèvent des prétentions spécifiques déjà soulevées dans des (procédures) individuelles ». (Procédures à propos desquelles un verdict est attendu dans les mois qui viennent.)
Quant aux 9 autres, qui réclament notamment (comme tous) l’annulation de leurs contrats et des sommes allant de plusieurs dizaines à plusieurs centaines de milliers d’euros en remboursement de leurs droits d’entrée et redevances et/ou en compensation des pertes subies, le tribunal les déboute de leurs demandes. Ensemble, puisque, selon lui, les contrats n’ont pas lieu d’être annulés, mais aussi individuellement, parce que les franchisés « ne démontrent pas » comme ils l’affirment, que leur ancien franchiseur est responsable des difficultés qui les ont conduits presque tous à la liquidation judiciaire.
Ce jugement ne satisfaisant pleinement aucune des parties, et notamment pas les franchisés ni le Ministère de l’Économie, il risque fort de faire l’objet d’appels.