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      Éric Schahl, cabinet Made in IP (MIIP), expert en propriété intellectuelle - Interview du 16 mars 2025

      Les entreprises de franchise sont censées avoir une stratégie de marque et bien réfléchir au choix de leur nom d’enseigne.

      Exeprt-Franchise-Eric-SchahlEn juin 2024, la cour d’appel de Rennes a annulé une marque-enseigne de franchise parce qu’elle n’avait pas un caractère suffisamment distinctif. Quel commentaire vous inspire cet arrêt ?

      Ce type de décision est objectivement très perturbant pour un réseau de franchise puisque la marque est l’une des bases du contrat proposé aux franchisés. Dans ce cas précis, il faut savoir que l’affaire n’est pas terminée sur le plan judiciaire : l’arrêt d’appel fait l’objet d’un pourvoi en cassation.

      En l’espèce, il s’agit d’une marque semi-figurative avec le dessin d’un piment vert qui accompagne le nom de l’enseigne. Les juges ont considéré que le nom lui-même était banal et que cet ensemble n’était pas assez distinctif. Depuis, un nouveau dépôt de marque avec une nouvelle identité visuelle a été effectué. Et le réseau poursuit son développement sans avoir à changer complètement de nom.

      Ce sujet est important en franchise. Pour qu’une marque soit valable sur le plan juridique, elle doit être distinctive. C’est-à-dire qu’il doit y avoir suffisamment de distance entre l’activité pratiquée et le signe choisi. Par exemple Orange est tout à fait distinctive en téléphonie, mais elle ne serait pas valable pour la vente d’oranges.

      Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise marque, il faut en revanche être attentif à son degré de distinctivité, car en fonction de ce degré, la gestion de la marque doit être différente.

      La gestion de la marque, c’est-à-dire ?

      Beaucoup de noms d’enseigne sont descriptifs ou quasi-descriptifs, notamment au démarrage de l’entreprise. L’intérêt est évident : cela rend l’activité du réseau immédiatement compréhensible par le public. En revanche, si le nom choisi est complètement distinctif, il va falloir obligatoirement investir en publicité pour le faire connaître.

      Au départ, on peut être descriptif, mais quand le service commence à avoir du succès, il arrive que l’on doive basculer vers un nom moins connoté, moins facile à imiter. Bla Bla Car, qui est une marque bien connue aujourd’hui, s’appelait initialement Covoiturage.fr, Kapten, c’était Chauffeur privé.com, Veepee, Ventes privées.com, etc.  Cette évolution permet entre autres de se développer à l’international plus facilement. Sur ce plan, la marque « Covoiturage » par exemple serait devenue un boulet.

      « Pour qu’une marque soit valable sur le plan juridique, elle doit être distinctive »

      Pour revenir à l’arrêt de la cour d’appel de Rennes, les magistrats ont considéré que le développement de ce jeune réseau (28 ouvertures de 2019 à 2023 incluses) n’avait pas été suffisant pour « asseoir le caractère distinctif de la marque auprès du grand public »… Quelle taille aurait-il dû atteindre ?

      La distinctivité n’est pas stable dans le temps. Elle peut augmenter ou diminuer. Dans le premier cas, on considère qu’elle est acquise par l’usage, dans l’autre qu’elle connaît une dégénérescence. Ce qui a été le cas de la marque Frigidaire qui, par un excès de notoriété, est devenue le nom du produit lui-même. Et cela, c’est la mort de la marque.

      L’évaluation du caractère distinctif ou du degré de distinctivité d’une marque est bien entendu largement subjective, mais des faits peuvent faire pencher la balance : il faut, pour convaincre les juges, produire des sondages sur le taux de notoriété spontanée atteint, etc. Dans le cas précis que vous évoquez, peut-être qu’un réseau de 50 restaurants ou que la preuve de campagnes de publicité auraient pu déboucher sur une décision différente.

      Y-a-t-il aussi une question d’ancienneté ?

      Il y a, c’est vrai, des enseignes bien installées qui ont acquis ainsi leur caractère distinctif tout en restant descriptives, mais cette notion d’ancienneté n’est plus aujourd’hui la référence. Certaines marques deviennent très fortes dans des délais très courts : regardez le spécialiste des puces électroniques et de l’IA Nvidia par exemple. Ce qui compte maintenant, c’est l’impact d’une marque plus que son âge.

      « Lorsque le nom de l’enseigne est très proche de l’activité, il faut être très prudent dans la manière de communiquer »

      D’autres enseignes de franchise ont-elles déjà été concernées par ce type de litige ?

      Oui, la Cour de cassation a eu à se prononcer par exemple dans un litige sur la marque de franchise L’Onglerie. Les magistrats ont constaté que ce nom était présent dans le langage courant et en ont déduit que l’on ne pouvait pas empêcher son utilisation par d’autres personnes. Mais la marque n’a pas été annulée pour autant. Le réseau n’a pas été obligé de changer de nom.

      Beaucoup d’autres franchises pourraient-elles être impactées par des décisions comparables ?

      Lorsque le nom de l’enseigne est très proche de l’activité, il faut être très prudent dans la manière de communiquer. De même mieux vaut faire attention quand on attaque en justice un concurrent que l’on accuse par exemple de contrefaçon. Ce n’est pas toujours pertinent.

      Il faut avoir une politique de marque, bien définir le territoire que l’on veut occuper et se montrer cohérent dans ses actes de défense. La dilution est l’ennemi mortel de la protection. Toutes les marques proches doivent surveiller ce que fait la concurrence. C’est d’autant plus vrai que le degré de distinctivité est plus faible.

      « Le risque pour une enseigne d’être attaquée est plus grand qu’avant. On se doit donc d’autant plus d’avoir, en matière de marque, une gestion rigoureuse »

      Depuis la loi Pacte du 1er avril 2020, la nullité d’une marque qui ne semble pas distinctive peut être sollicitée non seulement devant un tribunal, mais directement devant l’INPI (Institut national de la propriété industrielle). En outre elle peut être désormais demandée par qui le souhaite. Cela ne renforce-t-il pas la fragilité des marques de franchise ?

      On constate en effet une volonté de faciliter les actions contre les propriétaires de marques. Il y a trop de marques artificiellement monopolisées et l’idée est d’en rendre certaines disponibles. Résultat, les recours devant l’INPI sont à la fois plus courts (six mois) et d’un coût plus modique que par la voie judiciaire traditionnelle.

      L’institut fonctionne comme un tribunal de première instance (avec la possibilité de saisir la cour d’appel de Paris), à ceci près qu’il n’accorde pas de dommages et intérêts. De ce fait, le risque pour une enseigne d’être attaquée est plus grand qu’avant. On se doit donc d’autant plus d’avoir en matière de marque une gestion rigoureuse.

      On assiste aussi à de nombreuses demandes de nullité pour défaut d’usage. Et c’est un sujet sensible. Il faut savoir que plus de 50 % des marques européennes qui ont été annulées pour cette raison sont réellement exploitées mais ne sont pas parvenues à le prouver car les preuves fournies n’étaient pas datées ou ne se rapportaient pas exactement à la marque mais à une de ses déclinaisons, etc.

      « La personnalisation de la marque peut révéler à terme des effets négatifs »

      Les ennuis judiciaires de Stéphane Plaza et leur impact sur son réseau montrent combien le choix du nom de l’enseigne peut avoir des conséquences pour les franchisés. Les dirigeants du réseau ont-ils trop misé sur la personne du comédien-animateur de télévision ?

      Franchise-Stephane-Plaza-Immobilier-Agence-Levallois-Perret

      C’est un choix qui leur a permis aussi de connaître un énorme succès. Tout choix du nom d’enseigne comporte des raisons de succès et d’échec.

      Quand on choisit un nom, il y a évidemment de nombreux paramètres à prendre en compte dont la fragilité possible du patronyme. Cela se pose aussi dès que l’on capitalise sur la personnalité d’un influenceur dont le comportement peut avoir un jour des conséquences négatives sur la marque dont il fait la promotion, etc.

      Il est vrai qu’aujourd’hui, on peut comprendre le mécontentement des franchisés dont les vitrines sont taguées, etc.

      Les dirigeants de la chaîne doivent-ils changer de nom ?

      Une évolution de la marque est sans doute possible. Le nom Plaza Immobilier permettrait déjà sans doute de détacher le réseau de la personnalité de son fondateur.

      On touche là à la notion de séparabilité d’une marque. Le couturier Kenzo par exemple était très connu. Il a vendu son entreprise ainsi que son nom – son prénom en fait -, lequel est devenu une marque détachée de sa personne. Mais ce n’est pas toujours possible.

      Et la personnalisation peut révéler à terme des effets négatifs. Lorsque le groupe Bouygues a lancé Bouygues Télecom, le nom du groupe a constitué un réel avantage en apportant immédiatement une image de sérieux, de solidité, de fiabilité, ce qui a contribué à son succès. Mais cette marque ne serait pas vendable car trop liée au groupe de BTP. Il faut réfléchir à cet aspect de la question si l’on veut pouvoir vendre facilement sa marque un jour.

      « Donner à l’enseigne le nom du franchiseur lui confère un caractère distinctif très fort et rassure le consommateur, mais peut aussi causer des ennuis »

      Quand on examine la liste des exposants de Franchise Expo 2025, on s’aperçoit que très peu de franchiseurs utilisent un patronyme comme nom d’enseigne : une vingtaine au maximum sur plusieurs centaines de réseaux. Parce qu’il y a davantage de risques à faire ce choix ?

      Ce n’est clairement pas la tendance en tout cas. Une des explications tient sans doute au fait que parmi les créateurs d’enseigne, il y a assez peu de gens connus. De fait, beaucoup de dirigeants choisissent pour leur réseau une marque facilement séparable de leur propre existence.

      C’est vrai bien sûr qu’un nom d’enseigne de ce type, outre qu’il a un caractère distinctif très fort, présente un côté « intuitu personæ », un aspect rassurant pour le consommateur et donc pour le franchisé. Et tant qu’il n’y a pas d’imprévu, tout va bien. Mais dès qu’un problème surgit, on prend de plein fouet le retournement de notoriété qui en découle.

      Un débat juridique se déroule actuellement par exemple devant la Cour européenne de justice entre Jean-Charles de Castelbajac et l’entreprise à laquelle il a cédé son affaire et son nom. Pendant un temps, il a continué à collaborer avec elle en free-lance, puis ils ont rompu. Maintenant, il accuse le nouveau propriétaire d’avoir laissé entendre qu’il travaillait toujours pour lui. Et il attaque en nullité les marques transmises. La faute du repreneur est-elle avérée alors qu’il les a régulièrement acquises ?  On le voit, acheter une marque liée au nom d’une personne peut devenir un souci.

      Le fait d’utiliser son patronyme comme marque expose aussi aux risques d’homonymie. Quelqu’un portant le même nom que celui de votre enseigne peut éventuellement vous causer des ennuis.

      « Le plus malin sans doute est de trouver un nom d’enseigne à la fois bien distinctif et suffisamment évocateur pour interpeller le consommateur »

      Toujours en observant la liste des exposants présents à Franchise Expo 2025, on constate qu’une grosse moitié a opté pour des noms d’enseignes plus ou moins descriptifs. A l’inverse, une petite moitié a choisi des noms distinctifs, parfois énigmatiques. Ces réseaux ne risquent-ils pas d’avoir plus de mal à attirer les clients, au début de leur développement surtout ?

      Ils vont devoir en effet communiquer, sinon ils risquent d’avoir des difficultés à attirer leur clientèle potentielle. Le plus malin sans doute est de trouver non pas un nom d’enseigne à caractère descriptif, c’est-à-dire proche de l’activité, mais un nom qui soit à la fois bien distinctif et suffisamment évocateur, de façon à amener le consommateur à faire des associations d’idées.

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      Un bon exemple est celui de la chaîne de restauration rapide Big Fernand. Pour valoriser sa promesse-produit différente de celle de ses concurrents anglo-saxons – il propose des hamburgers sur mesure en moins de 55 secondes -, il fait clairement allusion à un produit phare du métier tout en mettant l’accent sur son côté français. Il se définit et s’oppose. C’est plutôt une bonne formule.

      « Réseaux sociaux : le défi est de ne pas réagir de manière négative ou de surréagir »

      Aujourd’hui, les marques-enseignes sont vulnérables sur les réseaux sociaux. Une enseigne peut se retrouver facilement victime de clients mécontents ou d’influenceurs qui la tournent en ridicule pour faire le buzz au profit de la concurrence. Que peut faire le franchiseur ?

      Il peut agir sur le plan juridique. S’il y a par exemple diffamation ou dénigrement, sa réaction est légitime. J’ai l’exemple d’un client qui vend des portes et des fenêtres sur une plate-forme commerciale et qui se plaint un jour d’un commentaire très négatif à l’encontre de son réseau, commentaire extrêmement bien mis en avant sur ce site. Après enquête, nous nous sommes aperçus que l’un des actionnaires de la plate-forme était un concurrent direct de notre client. Les choses sont rapidement rentrées dans l’ordre.

      Mais le dirigeant de réseau peut aussi réagir sur le plan communication, de préférence en utilisant l’humour, c’est-à-dire en tournant en dérision l’attaque, si nécessaire en faisant appel à une agence spécialisée. Le défi est de ne pas réagir de manière négative ou de surréagir. Parfois, le silence est la meilleure réponse : après quelques temps, la vague retombe.

      « Demandez au franchiseur de vous détailler sa stratégie de marque. Si la réponse est vague, attention ! »

      Comment un candidat-franchisé peut-il savoir que l’enseigne choisie est sécurisée, c’est-à-dire qu’elle ne risque pas d’être annulée ou facilement concurrencée ? Quelles précautions prendre ?

      Le candidat à la franchise peut demander à son futur franchiseur de lui détailler la politique de marque qui est la sienne et ce qu’il a prévu pour qu’elle soit pérenne. Les entreprises de franchise sont censées avoir une stratégie de marque, il faut donc déjà vérifier si c’est bien le cas. Si l’on élude votre question ou si l’on vous répond de façon vague, attention.

      Depuis que vous intervenez comme conseil des franchiseurs en matière de propriété intellectuelle, c’est-à-dire depuis déjà quelques décennies, avez-vous constaté une évolution favorable en ce qui concerne le choix du nom d’enseigne par les franchiseurs ?

      Cela dépend. Au démarrage, les choix actuels ne sont souvent pas assez réfléchis, effectués à l’emporte-pièce. En raison peut-être du coût d’un conseil ? En tout cas, ils ne sont globalement pas plus éclairés qu’il y a vingt ans. En revanche, quand le succès arrive, les sociétés se montrent dans l’ensemble plus compétentes et professionnelles, ce qui leur permet de rectifier quand c’est nécessaire leur choix initial. L’important est de bien mesurer ses forces et faiblesses de façon que le choix du nom d’enseigne reste une force.

      -En savoir plus sur l’expert Éric  Schahl 

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