Un franchiseur est condamné pour avoir omis, dans son DIP, de transmettre des informations déterminantes à propos de l’exclusivité accordée à un de ses franchisés. L’ambiguïté sur le sujet d’autres clauses du contrat est aussi pointée du doigt.
La cour d’appel d’Aix-en-Provence a rendu, le 1er décembre 2022, un arrêt intéressant à propos d’information précontractuelle et d’exclusivité territoriale en franchise.
Dans ce litige, le contrat est signé le 4 mai 2017. Mais, quatre mois plus tard, le 26 septembre, le franchisé le dénonce et réclame le remboursement de son droit d’entrée de 36 000 €.
Le franchisé estime que son droit d’exclusivité n’a pas été respecté puisque, suite à un appel d’offres émanant de son département, c’est un autre franchisé du même réseau qui a emporté le marché. Or, nous sommes dans une activité de services où l’essentiel du chiffre d’affaires provient de ce type de client.
Le franchiseur accepte la résiliation mais réclame une indemnisation de 5 000 € que le franchisé lui refuse. En l’absence d’accord entre les parties, le franchisé s’adresse à la justice et gagne en première instance.
L’exclusivité d’implantation du franchisé a été respectée, estime la cour d’appel
Saisie, la cour d’appel d’Aix-en-Provence se reporte d’abord à la lettre du contrat.
Selon le texte signé par les deux parties, le franchisé bénéficiait d’une « exclusivité d’implantation » sur une fraction de son département. Cela signifiait que le franchiseur s’engageait à ne pas autoriser l’implantation d’une autre unité à son enseigne sur ce territoire. Or, les faits démontrent qu’aucune autre implantation d’unité du réseau n’a eu lieu sur la zone concédée.
Les juges envisagent ensuite la question de savoir si le fait pour un autre franchisé du même réseau de répondre comme il l’a fait à l’appel d’offres litigieux devait être considéré comme une vente « active » ou « passive ».
Le contrat précisait à ce sujet que le franchisé devait s’interdire tout « démarchage actif » envers la clientèle située sur le territoire d’un autre franchisé. Le plaignant estimait donc que son collègue et néanmoins concurrent avait violé cette règle qui normalement devait aussi s’imposer à lui. Et ce, avec apparemment l’autorisation du franchiseur.
Mais les magistrats d’Aix-en-Provence sont formels : au regard de la définition utilisée au niveau européen, « la participation à un marché public est considérée comme une vente passive ». Le franchisé qui a emporté le marché n’est donc pas fautif. Le franchiseur pas davantage de l’avoir laissé faire…
Mais le franchiseur a manqué à son devoir d’information précontractuelle
Pour autant, les magistrats estiment que le franchiseur a manqué à son devoir d’information précontractuelle vis-à-vis de son partenaire.
Ils pointent une « absence d’information sur la question de l’exclusivité » dans le DIP (Document d’information précontractuel) délivré par le franchiseur avant la signature du contrat. Un DIP qui « ne fait aucunement état des contours et modalités de l’exclusivité d’implantation évoquée au contrat ».
Or, « si le franchisé conserve le devoir de se renseigner par ses propres moyens sur la nature et les conditions du contrat envisagé, il ne peut se prémunir contre l’omission d’informations. »
Et d’autres clauses du contrat pouvaient prêter à confusion sur le sujet
De même, la cour considère que d’autres clauses avaient sur le sujet un « caractère ambigu ».
Par exemple, l’un des articles du contrat prévoyait qu’en matière de réponse à un appel d’offres de marché public, le franchisé avait sur son territoire une priorité par rapport au franchiseur qui n’était autorisé à candidater lui-même que si le franchisé ne l’avait pas fait.
« Il pouvait donc être déduit de ce texte », estime la cour, que le franchisé était prioritaire aussi, aux mêmes conditions, par rapport aux autres franchisés du réseau. Le franchisé pouvait même penser que ses collègues n’avaient pas du tout le droit de candidater en réponse à un appel d’offres émanant de son territoire.
Du reste, un courriel produit par le franchisé a montré aux yeux des juges que le franchiseur avait bel et bien reconnu ce droit de priorité à un autre membre du réseau dans un autre appel d’offres.
Le franchiseur a omis de communiquer une information déterminante pour le choix du franchisé, estime La cour
En conséquence, écrit la cour, il y a lieu de juger que le franchiseur « a omis de communiquer au franchisé une information déterminante ».
D’abord « en s’abstenant de lui préciser que l’exclusivité dont il bénéficiait s’entendait (comme une) exclusivité d’enseigne n’excluant pas la concurrence sur son territoire d’autres franchisés par le biais des appels d’offres » Mais aussi « en créant une confusion avec les autres clauses du contrat ».
« Si la clause d’exclusivité territoriale n’est pas de l’essence même du contrat de franchise et doit être compatible avec les règles de libre concurrence, ajoute la cour, il n’en demeure pas moins que chaque contractant est tenu d’une obligation d’information et de loyauté s’agissant d’éléments que l’autre partie ignore conformément à l’article 1112-1 du code civil. »
Cette clause d’exclusivité était en outre « d’un intérêt très réduit voire inexistant » pour le franchisé
De surcroît, la clause d’exclusivité de ce contrat « est en réalité réduite à la seule interdiction faite au franchiseur et aux autres franchisés d’installer un établissement portant la même enseigne » note la cour.
« Ce qui confère au franchisé un intérêt très réduit voire inexistant s’agissant de prestations essentiellement à destination de circonscriptions territoriales ou de services publics (de l’aveu même du franchiseur) et pour lesquelles la simple apposition d’enseigne n’est pas de nature à créer de facto un afflux de clientèle. »
La résiliation du contrat aux torts exclusifs du franchiseur est confirmée
Dès lors, le franchisé était bien fondé à solliciter la résiliation du contrat de franchise. Le jugement de première instance ayant prononcé cette résiliation aux torts exclusifs du franchiseur est confirmé.
Le franchiseur devra restituer les 36 000 € de droit d’entrée à son ex-franchisé. Il devra également lui verser près de 10 000 € de dommages et intérêts en indemnisation du préjudice subi pour « perte de chance de percevoir un chiffre d’affaires », correspondant, pour un contrat non exécuté, à la perte de marge potentielle.