En franchise, le choix du nom de la marque-enseigne comporte de sérieux risques juridiques qu’il est possible d’éviter.
Suite aux ennuis judiciaires de son fondateur, le réseau Stéphane Plaza Immobilier est dans la tourmente. Comprenez-vous la démarche des franchisés qui, par dizaines, sont sortis ou veulent sortir du réseau ?
L’atteinte à l’image de la marque est forte. Elle rejaillit forcément sur le réseau et les franchisés craignent légitimement que l’enseigne ne soit plus du tout attractive. En optant pour la personnalisation à outrance de la marque, le réseau a pris un risque.
En même temps, l’histoire de la franchise est jalonnée des succès de réseaux ayant pris pour marque le nom d’une personne : d’Alain Afflelou à Yves Rocher en passant par Jacques Dessange ou Guy Hoquet ?
Oui, c’est vrai, le succès est possible. Cela n’enlève rien au fait que c’est prendre un risque. On le voit bien aujourd’hui.
« Quand l’image de marque est fortement atteinte, le plus simple est de changer le nom de l’enseigne »
Que conseilleriez-vous en pareil cas à un franchiseur confronté à des dizaines de franchisés qui veulent quitter son réseau ?
La bonne solution, c’est de changer de nom ! J’ai eu un client franchiseur dont la marque était attaquée par un réseau américain. Je lui ai proposé – et il a décidé en effet – de modifier l’enseigne, de changer complètement son nom, de partir sur une nouvelle marque. Cela permet d’éviter le débat judiciaire qui fait perdre du temps et est préjudiciable à l’image du réseau, donc à son fonctionnement et à son développement.
Quelles sont les marges de négociation ? Le franchiseur peut-il par exemple accepter de renoncer à la clause pénale de son contrat ?
Tout dépend de la stratégie du franchiseur. S’il veut maintenir son identité, il a intérêt à négocier en effet. A mon avis, l’argument des franchisés qui consiste à dire que, vu l’affaiblissement de la marque, le franchiseur ne remplit plus ses obligations contractuelles est entendable par une juridiction.
N’oublions pas non plus que la clause pénale invoquée par le franchiseur en cas de rupture anticipée du franchisé et qui fixe une somme forfaitaire parfois importante, peut voir son montant réduit à zéro par le juge.
« La résiliation du contrat aux torts exclusifs du franchiseur est possible, si le tribunal retient que la dépréciation de la marque lui est imputable »
Vous pensez que, s’il y avait procès, les franchisés pourraient obtenir la nullité du contrat ou sa résiliation aux torts du franchiseur et donc la liberté qu’ils espèrent, comme l’invoquent leurs avocats ?
La nullité du contrat : non. Il faudrait pour cela qu’il n’y ait pas eu de contrepartie lors de la formation du contrat. Or, en l’occurrence, il y en a eu une. La marque a même joué un rôle de puissant levier pour le développement du réseau.
Mais la résiliation aux torts exclusifs du franchiseur est possible si le tribunal retient que la dépréciation de la marque lui est imputable. Les juges peuvent estimer que le franchiseur n’a pas tout tenté pour la protéger.
Le franchiseur peut-il – voire doit-il – accepter en outre de lever sa clause de non-concurrence et/ou de non-affiliation post-contractuelle afin de faciliter complètement la sortie des franchisés, sachant qu’ils vont probablement passer à la concurrence ?
De telles clauses qui interdisent – pendant une durée définie sur un territoire donné – de rallier un réseau concurrent, voire de poursuivre la même activité, sont licites dans le cadre d’un réseau de franchise à condition de respecter les limites prévues par la loi.
Mais si le franchiseur est dans une logique de négociation, oui, il a intérêt à lever aussi ce type de clauses de façon à permettre au franchisé non seulement de sortir mais de pouvoir continuer s’il le souhaite son métier en dehors du réseau.
C’est aussi pourquoi il me paraît plus simple de changer de nom d’enseigne, car cela permet d’éviter à la fois les ennuis d’une procédure judiciaire et ceux d’une négociation avec les franchisés, forcément coûteuse.
On voit bien avec cette affaire que la personnalisation pose problème. Et cela ne concerne pas que la marque-enseigne. J’ai le cas d’un réseau – qui n’est pas tout jeune – mais qui est porté par une seule personne et le risque doit être anticipé. Il ne faut pas que la marque soit trop personnelle.
C’est une remarque qui vaut pour toutes les entreprises, mais davantage encore en franchise où le réseau doit pouvoir se détacher de la personne physique qui l’a créé, qui l’a dirigé et/ou incarné un temps. Cette séparation, qui doit forcément survenir un jour, doit s’envisager suffisamment tôt. C’est un point faible qui peut se transformer en force si on s’en occupe à temps.
« Trop de réseaux se lancent en déposant leur marque sans se faire aider par un expert »
En juin 2024, la cour d’appel de Rennes a annulé une marque-enseigne de franchise parce qu’elle n’avait pas un caractère distinctif. A ce propos vous avez écrit dans un commentaire de cet arrêt que les franchiseurs avaient intérêt à vérifier si leur nom d’enseigne présentait bien ce caractère : comment doivent-ils procéder ?
C’est très simple : ils doivent se rapprocher d’un conseil en propriété intellectuelle ou d’un avocat spécialisé en franchise. Dans cette affaire, la marque qui a été annulée n’avait pas de caractère distinctif. En effet, elle utilisait comme nom d’enseigne celui du produit vendu. C’est un peu comme si un réseau de vente de chocolats avait pris pour marque le seul mot chocolat.
En outre, c’est ce réseau lui-même qui a sollicité la justice en assignant un concurrent ayant adopté un nom d’enseigne trop proche du sien à son avis.
En fait, les dirigeants de cette chaîne se sont achetés une querelle. Ils n’auraient, dans leur cas, pas dû attaquer mais chercher au contraire à négocier, par exemple un accord de coexistence. Et surtout ne pas aller au litige, pas demander la nullité de la marque de leur concurrent qui elle, a été reconnue par la cour d’appel comme une « marque complexe » et n’a pas été annulée…
On a appris depuis que le réseau condamné a fait appel à un conseil spécialisé en propriété intellectuelle. Lequel lui a recommandé de déposer une nouvelle marque dotée d’une nouvelle identité visuelle. Donc le nom d’enseigne est accompagné désormais, d’une base-line descriptive comme au tout début du réseau et d’un dessin nettement plus explicite que le précédent…
Ce qui prouve que l’on a, en pareil cas, intérêt à faire évoluer sa marque. La solution qui a été trouvée semble judicieuse puisqu’elle permet de garder le nom déjà connu dans un nouvel ensemble tout en protégeant le réseau et donc les franchisés.
Cette décision de la cour d’appel de Rennes a quelque peu surpris le milieu de la franchise. Beaucoup d’autres enseignes pourraient-elles être, elles aussi, annulées ?
Beaucoup de réseaux se lancent en déposant leur marque sans se faire aider par un conseil en propriété intellectuelle. Ils ne savent même pas que leur enseigne est annulable. J’ai déjà vu des cas où seule la marque verbale avait été déposée mais pas le logo ou inversement. Le choix des « classes » pour lesquelles la marque est déposée a toute son importance. Il faut faire également une recherche d’antériorité, vérifier que la marque que l’on veut déposer est bien disponible, etc. La marque est le premier élément que je vérifie quand je reçois un porteur de projet de franchise, juste avant le manuel de savoir-faire.
« Le consommateur va retenir la marque-enseigne qui se distingue, pas celles qui se confondent »
Parmi les exposants de Franchise Expo Paris 2025, certains nouveaux venus arborent des noms d’enseigne sans rapport avec l’activité du réseau, des noms parfois énigmatiques. A vouloir se montrer trop distinctif, ne risquent-ils pas de manquer d’attractivité, surtout au début de leur développement ?
Il est vrai qu’en regardant la liste des exposants, on peut se dire parfois que les consommateurs ne vont pas comprendre quelle est l’offre de telle ou telle franchise. Ce qui n’est pas le cas évidemment lorsque le nom d’enseigne fait allusion de façon flagrante à l’activité pratiquée.
Mais en procédant de cette manière, en adoptant un nom qui ne reflète pas directement l’activité, ces réseaux évitent un gros risque juridique, celui de voir fleurir sur leur créneau des concurrents avec un nom proche du leur.
Par ailleurs, ils peuvent parfaitement faire connaître leur marque auprès des consommateurs par une bonne campagne de communication. Et justement, le consommateur, lui, va retenir la marque énigmatique, celle qui se distingue et pas celles qui se confondent.
En outre, aujourd’hui, avec les réseaux sociaux et les influenceurs, il est plus facile de se faire connaître qu’avant par les canaux traditionnels de publicité. Plus facile et moins coûteux.
« Les réseaux de franchise ne sont pas démunis face au dénigrement de leur marque-enseigne sur les réseaux sociaux »
A propos des réseaux sociaux, on voit bien aujourd’hui que les enseignes y sont vulnérables. Une marque de franchise peut se retrouver facilement victime de mécontents ou simplement d’influenceurs qui la tournent en ridicule pour faire le buzz. Que peut faire le franchiseur pour protéger le réseau ?
Les franchiseurs ne sont pas démunis : un arsenal existe leur permettant de protéger leur marque et donc le réseau.
S’il y a diffamation de la personne morale porteuse du réseau, si l’on dispose d’éléments constitutifs pour le prouver, on peut agir. Si, par exemple, le dénigrement de la marque est commandité par un concurrent, on peut attaquer en concurrence déloyale.
Si l’influenceur dénigre juste pour faire du buzz, son action cause un tort à la marque, on peut mener une action en responsabilité civile à son encontre.
En assignant les responsables puis en négociant avec eux ensuite, on peut obtenir le retrait de commentaires qui gênent. Cela m’est arrivé sur une plate-forme spécialisée dans les offres d’emplois. La même méthode peut s’appliquer en franchise avec le même succès.
« Les candidats à la franchise ont tout intérêt à faire analyser leur DIP qui contient, entre autres, les informations utiles sur la marque du franchiseur »
A quoi les candidats à la franchise doivent-ils faire attention avant de s’engager en ce qui concerne le nom d’enseigne de leur futur partenaire ?
Ils doivent s’assurer d’abord que le franchiseur est bien propriétaire de la marque. Plus précisément que la société qui développe le réseau de franchise est bien titulaire des droits d’exploitation de la marque. Par exemple si le dépôt a été effectué par une personne physique, il faut vérifier que cette personne a bien fait le transfert nécessaire. Il faut être certain que le réseau est bien protégé. Idem pour le nom de domaine sur internet.
Normalement, les informations utiles sur le sujet figurent dans le DIP (Document d’information précontractuel) que la tête de réseau doit vous transmettre 20 jours au moins avant la signature du contrat ou tout versement d’argent. Et ce DIP, tout candidat a intérêt à le faire analyser par un avocat spécialisé en franchise qui verra tout de suite si le réseau tient la route ou pas sur la question de la marque notamment.
Et puis évidemment, il faut aller voir et interroger deux ou trois autres franchisés du réseau qui vous tente, choisis au hasard dans la liste qui figure dans le DIP, et pas spécialement ceux que le franchiseur vous conseille de rencontrer en priorité.
La question du choix de l’enseigne est-elle vraiment aussi importante que celle de la rentabilité du concept dans le choix d’un réseau par les candidats à la franchise ?
Tout est lié. Bien sûr, la rentabilité du concept, c’est le nerf de la guerre. Mais – surtout si le concept est très rentable – un concurrent peut aller chercher la petite bête et voir s’il n’y a pas de défaut dans la marque qui permettrait de l’attaquer. Et, comme l’actualité nous le rappelle, quand la marque rencontre un problème, cela peut compromettre y compris la rentabilité du concept…