Un franchiseur estimait avoir le droit d’utiliser le fichier-clients de ses ex-franchisés après la fin de leur contrat. Sa demande est rejetée en appel. Rejet confirmé par la Cour de cassation.
La Cour de cassation a rejeté le 27 septembre 2023 le pourvoi d’un franchiseur qui estimait avoir le droit d’utiliser le fichier clients de ses franchisés après la fin de leur contrat.
Le litige prend naissance en 2019 lorsque l’enseigne, faisant face à des difficultés économiques, annonce aux membres du réseau sa décision d’abandonner la franchise pour passer à la commission-affiliation.
A la fin de l’année, le franchiseur notifie aux sociétés franchisées qui n’ont pas répondu favorablement à sa proposition la fin de leur contrat à l’issue d’un préavis de 18 mois (soit le 31 juillet 2021).
Sept de ces sociétés mettent alors en demeure leur partenaire de leur restituer leurs fichiers clients.
Le franchiseur est condamné en référé à restituer les fichiers clients à ses ex-franchisés
Le 17 juin 2021, la société du franchiseur transmet aux franchisés des fichiers que ceux-ci estiment incomplets et inexploitables en l’état.
Le 8 juillet, sollicité par les franchisés, le tribunal de commerce considère en référé que la non-transmission des fichiers clients aux sociétés franchisées leur cause « un dommage imminent » et constitue « un trouble manifestement illicite ». Il rend une ordonnance par laquelle il enjoint au franchiseur de leur transmettre l’intégralité de ces fichiers.
Le 15 juillet, le franchiseur indique aux franchisés concernés qu’un second fichier peut leur être envoyé sur demande écrite. Leur réponse positive est formulée dès le lendemain. Une nouvelle extraction est réalisée en présence d’un huissier de justice chez le prestataire informatique de la société franchiseur. Finalement, au 31 juillet 2021, les fichiers sont bien considérés par les franchisés comme transmis dans leur intégralité.
La cour d’appel interdit l’utilisation des fichiers clients par le franchiseur après la fin du contrat des franchisés
Le franchiseur fait appel de la décision de première instance. Mais le 9 juin 2022, la cour d’appel de Douai confirme l’ordonnance de référé.
Pour les magistrats, même si la situation a été régularisée depuis le jugement, elle ne l’était pas le 8 juillet 2021 lorsque le président du tribunal de commerce a statué.
Par ailleurs, la cour confirme l’interdiction faite au franchiseur d’utiliser ces fichiers clients après le 31 juillet 2021, date de fin des contrats de franchise.
Devant la Cour de cassation, le franchiseur invoque, en vain, la clause de non-concurrence post-contractuelle
Le 27 septembre 2023, la Cour de cassation saisie par le franchiseur valide l’arrêt d’appel.
« C’est à bon droit », estime la plus haute juridiction française, que la cour d’appel a confirmé l’ordonnance de référé « tout en constatant qu’au jour où elle statuait, la société (franchiseur) avait restitué aux sociétés franchisées l’intégralité des fichiers en cause ». Car il y avait bien eu « dommage imminent » au moment où l’ordonnance a été rendue.
Mais devant la Cour, le franchiseur conteste également l’arrêt d’appel parce qu’il lui interdit d’utiliser ces fichiers après la fin des contrats de franchise.
Pour l’enseigne, en effet, les franchisés tenus par une clause de non-concurrence post-contractuelle (d’un an sur leur zone d’exclusivité) ne pouvaient pas utiliser ces fichiers pendant cette durée. Ils ne subissaient donc pas de dommage imminent.
Le contrat de franchise précisait la « pleine propriété » du franchisé sur le fichier clients
Là encore, la Cour de cassation contredit les arguments du franchiseur.
Pour prendre sa décision, la cour d’appel s’est basée sur le contrat de franchise signé entre les parties en litige. Contrat selon lequel le franchiseur « assure la gestion active du fichier clients » constitué par le franchisé « grâce à un droit d’usage et de jouissance » que celui-ci lui concède. Mais le franchisé – qui « en assure les frais de constitution » et « de maintenance » – « en conserve la pleine propriété ».
La cour d’appel a également relevé « qu’aucune clause contractuelle ne (permettait) au franchiseur d’accéder aux fichiers clients de ses franchisés après la fin des contrats de franchise ».
Enfin, la cour de Douai a retenu que, dans une lettre de mai 2021, le conseil du franchiseur indiquait que l’enseigne poursuivrait l’exploitation des données constituant ces fichiers-clients, même après la fin de ses relations contractuelles avec les franchisés.
Pour la cour d’appel, la non-transmission des fichiers clients aux franchisés constituait donc « une manœuvre destinée à (se les approprier) afin d’assurer la promotion des nouveaux magasins à l’enseigne (qui seraient implantés) sur les zones de chalandise des anciens franchisés ».
La Cour de cassation valide l’arrêt d’appel
Aux yeux de la Cour de cassation, la cour d’appel a, par « ces constatations et appréciations (…), caractérisé l’existence d’un dommage imminent qu’il convenait de prévenir ».
L’existence d’une clause de non-concurrence post-contractuelle, « qui avait seulement pour effet de restreindre temporairement l’usage des données de ces fichiers par les franchisés eux-mêmes », étant, au vu du contrat, sans conséquence sur la question de savoir à qui ils appartenaient et qui pouvait les utiliser.
La Cour de cassation écarte aussi l’argument du franchiseur selon lequel il avait un droit sur ces fichiers-clients et en particulier sur les données afférentes dans la mesure où c’est lui qui a constitué et assuré par ses investissements le fonctionnement de la base de données.
Pour les magistrats, au contraire, la cour d’appel de Douai a eu raison de confirmer l’interdiction faite au franchiseur « d’utiliser les fichiers clients appartenant aux franchisés et toutes données les constituant, à compter de la date de fin des contrats de franchise. »
Le pourvoi du franchiseur est rejeté.