Un article de la loi travail prévoit l’installation d’une sorte de comité d’entreprise dans les réseaux de franchise. Découvert il y a quelques jours, ce texte soulève un tollé chez les franchiseurs. Mais aussi côté franchisé !
Si la « Loi Travail » était adoptée en l'état, ce serait une catastrophe pour la franchise, les franchiseurs et les franchisés. C'est, en substance, ce que disent, écrivent, clament les acteurs de la franchise depuis qu'ils ont pris connaissance d'un amendement d'origine parlementaire, qui a mis le feu aux poudres.
Que dit cet amendement adopté en première lecture à l'Assemblée? Que craignent les franchiseurs et les franchisés ? Franchise Magazine vous propose un résumé des arguments des uns et des autres.
« Améliorer la situation des salariés des réseaux de franchise », selon les députés
Pour les auteurs de l'amendement n° 1721, devenu l'article 29 A bis de la loi Travail:
- La franchise emploie en France près de 350 000 salariés dans 70 000 points de vente,
- Ces chiffres ont connu une forte augmentation ces dix dernières années,
- Malgré un CA de 53 milliards d'euros, les salariés de ces réseaux « connaissent les réalités sociales des salariés des TPE-PME »,
- Ils ne bénéficient pas de la représentation du personnel, de la présence syndicale et des avantages sociaux que permet un comité d'entreprise,
- L'amendement a pour objet d'améliorer leur situation en mettant en place « une représentation dont ils sont injustement privés ».
Dès qu'un réseau de franchise comptera 50 salariés chez ses franchisés, il devra mettre en place un comité de dialogue salariés/employeurs qui s'apparente à un comité d'entreprise au niveau du réseau.
Les arguments des franchiseurs
Pour la FFF, la Fédération française de la franchise, la loi « remettrait en cause l'indépendance économique et juridique du franchisé, qui est la clef de voûte de la franchise ».
Un avis partagé par les avocats et conseils de franchiseurs pour qui :
- Le dispositif envisagé est lourd, compliqué et coûteux,
- Il impose au franchiseur « de rendre des comptes aux salariés des franchisés sur lesquels il n'a pourtant aucun pouvoir de direction »,
- Le franchiseur se voit en outre « forcé d'intervenir directement dans la politique sociale de ses franchisés » (immixtion dans la gestion),
- Cela pourrait à terme créer une situation « où le franchiseur serait considéré comme l'employeur de tous les salariés travaillant dans le réseau… »,
- Dès qu'un nouveau franchiseur « parviendra au seuil de rentabilité (entre 10 et 20 franchisés), il sera soumis à ces contraintes », ce qui risque de prolonger sa situation de non-bénéficiaire.
« Faire peser sur les franchisés de lourdes contraintes »
Par ailleurs,
- Le texte impose aux franchisés « des obligations traditionnellement réservées aux entreprises de plus de 50 salariés » (ce qui n'est le cas que d'une minorité de franchisés),
- Par exemple, le fait de détacher un délégué 20 heures par mois peut constituer une contrainte « aberrante » pour une petite entreprise franchisée. Sans oublier l'introduction d'une « situation inéquitable entre franchisés (certains finançant des délégués, d'autres pas) »,
- Au fond, le texte « remet en cause l'indépendance juridique des franchisés », ce qui peut conduire à l'annulation de leur contrat,
- Ce faisant, il « prive le système de franchise de ses atouts, qui lui ont permis d'obtenir le succès qu'on lui connait »,
- Enfin le texte de loi ne vise que la franchise, mais aucune des autres formules voisines comme la coopérative, la concession, la licence de marque, ce qui parait pour le moins inéquitable.
Les arguments des franchisés
Pour Maître Serge Méresse, qui fait autorité parmi les avocats de franchisés, la loi « n'est pas bonne pour les franchisés ni pour la franchise ».
Parce qu'elle « assimile les franchisés aux succursales ou aux filiales des franchiseurs, ce qui est l'exact contraire de la franchise ». Et parce qu'elle « donne aux salariés des franchisés plus de pouvoirs et de droits que les franchisés n'en ont eux-mêmes ».
En détail :
- La représentation des salariés dans le comité de dialogue serait supérieure à celle des franchisés,
- Donner aux salariés des franchisés des informations sur la santé financière du franchiseur n'a pas d'intérêt. C'est la santé financière de leur employeur franchisé qui les concerne,
- Sur l'emploi : la loi revient à obliger les franchisés à définir des prévisions d'emplois, ce qui donne aux salariés du réseau un droit de regard sur la politique sociale de chaque franchisé. « Les franchisés y perdront leur liberté de gérer l'emploi dans leur entreprise »,
- Les informations demandées sur la politique sociale obligent à définir et finalement à imposer cette politique dans tout le réseau. Or « la politique sociale du franchisé ne doit être fixée ni par le franchiseur, ni par l'instance de dialogue ».
« La loi donnerait aux salariés des pouvoirs que les franchisés n'ont pas »
Par ailleurs,
- Sur la marche du réseau, les informations demandées donneraient « aux salariés des franchisés un pouvoir d'immixtion dans la gestion du réseau et dans l'entreprise de leur employeur que leur statut ne justifie pas. Ils ne sont ni actionnaires des entreprises franchisées, ni franchisés eux-mêmes »,
- Sur les entrées et sorties de franchisés du réseau, Serge Méresse s'interroge : « un franchisé sera-t-il totalement libre de sortir du réseau si les salariés s'y opposent ? »,
- Sur l'obligation de reclassement des salariés dans le réseau (en fait, obligation de « recherche de poste » en cas de licenciement, ndlr) : « les salariés (…) auront un contrôle direct de l'emploi dans le réseau. Cette mesure ne favorisera pas le développement économique des entreprises franchisées, ni l'emploi dans le réseau ».
En résumé, si la reconnaissance du réseau et l'installation par le franchiseur d'un comité de dialogue seraient souhaitables, selon l'avocat, elles ne devraient concerner que les franchisés (qui ont investi leur argent). Et pas leurs salariés.
Quelle issue ?
La Loi Travail sera-t-elle finalement adoptée ? L'actuel article 29 bis A disparaitra-t-il ou sera-t-il amendé ? Bien des rebondissements attendent encore ce projet qui doit être examiné début juin au Sénat et retourner à l'Assemblée avant la pause estivale.
Une chose est sûre : en adoptant, dans la précipitation de son passage en force à l'Assemblée, l'amendement 1721, sans concertation préalable avec les professionnels, le gouvernement a réussi au moins une chose : faire contre lui l'unanimité des franchiseurs et des franchisés, en tout cas de leurs porte-paroles. Et c'est assez rare pour être souligné.