Les récents bouleversements intervenus dans la distribution du jouet avec les reprises pratiquement concomitantes de La Grande Récré et de Toys’R’Us France sont-elles le signe d’une crise du marché ? Quelques éléments de réponse.
Le 8 octobre, le tribunal de commerce d’Evry a scellé le sort de la filiale française de Toys’R’Us, en redressement judiciaire depuis le mois de juillet, en retenant l’offre de Jellej Jouets, associé à l’enseigne Picwic, elle-même liée à la famille Mulliez. Le rapprochement prévu de Toys’R’Us et de Picwic devrait débuter début 2019
Une semaine plus tôt, le tribunal de commerce de Paris avait validé le plan de continuation du groupe Ludendo, propriétaire de La Grande Récré et représenté par Jean-Michel Grunberg, PDG de l’enseigne. Celui-ci s’est allié à la Financière immobilière bordelaise (FIB), un fonds spécialisé dans l’immobilier commercial dirigé par Michel Ohayon, qui a pris 36 % du capital du groupe et dispose d’une option pour monter à 95 % avant la fin de l’année.
Si ces dénouements ont représenté un soulagement pour les fabricants de jouets, qui étaient suspendus, à quelques semaines de Noël, aux difficultés financières de deux réseaux représentant ensemble près de 18 % du marché hexagonal, ils ont renforcé les interrogations sur le secteur du jouet, et sur l’avenir de la distribution spécialisée sur ce créneau. D’autant que dans sa patrie d’origine, Toys’R’Us, le géant américain du jouet fondé en 1948, a été mis en liquidation judiciaire en mars et a fermé ses 800 magasins répartis à travers le pays. Mais rappelons aussi qu’en 1999, Toys R’Us avait déjà fermé la majorité de ses magasins en France.
Alors qu’en est-il réellement ?
Un marché mature mais de plus en plus concurrentiel
Et d’abord quid du marché lui-même ? Le marché français du jouet est relativement stable. Depuis 2013 il n’a cessé de progresser, dans une fourchette de plus ou moins grande. Pour 2017, la Fédération française des industries Jouet Puériculture (FJP) n’a toutefois annoncé qu’une hausse de 0,4 % à 3,44 Mds€, un essoufflement qui serait lié à la mal-performance des licences, mais aussi au recul (-2,1 %) du nombre de naissances en 2017. La France demeure toutefois, avec 767 000 naissances en 2017, le pays d’Europe où la natalité est la plus forte. Selon le panel de l’institut d’études des marchés NPD, il s’est vendu en France 239 millions de jouets, correspondant à une dépense annuelle de 304 euros par enfant.
Au premier semestre 2018, les ventes auraient, toujours selon NPD, reculé de 2 % en valeur, mais il faudra attendre la période des fêtes, toujours stratégiques, pour savoir si cette tendance se confirme, ce qui représenterait un repli après cinq ans de hausse.
Quoi qu’il en soit, et même s’il affiche donc des signes de faiblesse, la situation du marché ne semble pas catastrophique. En outre, le long feuilleton de la reprise des deux enseignes susnommées a montré l’intérêt porté au secteur du jouet par plusieurs acteurs, dont certains extérieurs à cette activité. Ce qui est tout de même un signe d’attractivité.
Des cartes rebattues dans la distribution ?
En revanche, il est clair que la distribution se transforme avec la montée en puissance de nouveaux acteurs, dont bien sûr les ventes en ligne, qui accaparaient, en 2017, 25 % du marché hexagonal des jeux et jouets. Ce secteur se diversifie : outre les généralistes de la vente sur le web, comme le mastodonte Amazon ou encore Cdiscount, il faut désormais compter avec la progression des sites marchands des marques de jouets elle-même, ou encore avec des sites de ventes événementielles.
De son côté, la grande distribution, qui développe depuis longtemps des rayons importants autour de la période de Noël, a aussi commencé à déployer des magasins spécialisés dans le jouet, comme l’a fait Leclerc depuis 2016. Tandis que Carrefour est aujourd’hui capable de créer, au même moment, de véritables shop-in-the-shops dédiés au jouet.
Attaqués par les géants du commerce en ligne et leur offre pléthorique, les magasins physiques (il y a 1 279 magasins de jouets en France selon notre confrère LSA) qui supportent des coûts de structure importants, souffrent donc. Les commerces spécialisés représentent aujourd’hui 40 % de part de marché, contre 45 % en 2013.
Mais les situations sont contrastées. Les petits magasins indépendants continuent de reculer. Quant à Ludendo et à Toys’R’Us, l’un de leurs points communs est qu’il s’agit de groupes uniquement ou principalement succursalistes, dont l’endettement a grevé les capacités à investir. La Grande Récré a sans doute été plombée par des loyers trop élevés. Quant à la maison-mère américaine de Toys’R’Us, elle a dû supporter un endettement très important depuis son rachat en 2005 par des groupes de capital-risque, par l’intermédiaire d’un LBO (achat à effet de levier)
Pour leur part, les réseaux relevant du commerce associé semblent mieux résister, en s’appuyant sur la combativité de leurs adhérents, commerçants indépendants. C’est le cas de JouéClub, plus ancienne chaîne du jouet en France et seule coopérative du secteur, avec 350 points de vente en France mais aussi à l’international, mais également de King Jouet (plus de 200 magasins) ou encore du petit réseau Jouets Sajou (36 adhérents).
Tous ces concepts mettent les bouchées doubles pour faire venir les consommateurs dans leurs unités et sont passés depuis longtemps à l’omnicanalité, c’est-à-dire à la complémentarité d’un magasin physique et du digital : conseils pour les parents, démonstration de jeu en magasin, théâtralisation des points de vente, animations et atelier pour enfants, produits exclusifs, mais aussi e-réservation, retrait en magasin. C’est en renforçant tous ces moyens qu’ils espèrent continuer à représenter une alternative durable sur le marché.