La cour d’appel de Paris condamne un franchiseur pour avoir limité la liberté commerciale d’un franchisé après la fin de son contrat. Une clause lui interdisant, sans limite de durée, d’utiliser deux couleurs symboliques est annulée.
Par un arrêt du 1er juillet 2020, la cour d’appel de Paris est intervenue, après des années de procédure, dans un conflit opposant un franchiseur à un franchisé sur les conditions et les conséquences de leur rupture.
Dans ce litige, la collaboration commence en 1996. En 2005, un nouveau contrat à durée déterminée de trois ans est signé. Il exclut toute reconduction tacite et impose à la partie qui veut le renouveler d’en informer l’autre, au moins trois mois avant l’échéance.
Une rupture mal vécue par le franchisé comme par le franchiseur
Problème : les relations entre les signataires ne sont plus au beau fixe. Début 2008, le franchiseur demande instamment à son partenaire de ne plus tarder et de procéder enfin sur son point de vente aux travaux permettant sa remise aux normes du concept. Il explique clairement qu’il conditionnera le renouvellement du contrat à cette mise en conformité.
Or, au 19 mars 2008, soit trois mois avant l’échéance, le franchisé n’a toujours pas manifesté le désir de renouveler son contrat. Dans ces conditions, le franchiseur lui adresse le 4 avril par lettre recommandée sa décision de ne pas continuer. C’est la rupture.
Mais la situation se complique car le franchisé, qui continue son activité (ce que son ex-partenaire ne lui interdit pas), conserve sur son point de vente le logo et la marque de son ex-franchiseur ainsi que les couleurs de l’enseigne, ce qui, en revanche, n’est pas autorisé par le contrat.
Le franchiseur qui le poursuit devant les tribunaux obtient sa condamnation en référé, le 20 octobre 2009, à 3 000 € de provision à valoir sur l’indemnité à venir. La cour d’appel de Douai lui impose quant à elle ultérieurement 5 000 € d’astreinte pour une période allant de décembre 2009 à juillet 2010.
Pas de rupture brutale selon les juges, mais une clause post-contractuelle nulle car trop limitative
En 2011, le franchisé qui a entre-temps décroché l’enseigne et le logo du franchiseur et modifié les couleurs de son point de vente, lance lui aussi une procédure contre son « ex ». Lui reprochant notamment une rupture brutale des relations commerciales (après 12 ans de collaboration), il réclame réparation du préjudice subi (à hauteur de 50 000 €).
Le 8 septembre 2017, le tribunal de commerce de Nancy déboute le franchisé et le condamne à verser 5 000 € d’indemnité au franchiseur pour utilisation des signes de la franchise après la fin du contrat (marque et logo).
Toutefois, les juges considèrent aussi que la clause du contrat qui oblige le franchisé à repeindre son point de vente à d’autres couleurs que celles de son ex-enseigne dans les six mois qui suivent la fin du contrat est « réputée non-écrite ». Décision dont le franchiseur fait appel.
Saisie, la cour d’appel de Paris confirme pour l’essentiel ce jugement. Les magistrats estiment ainsi qu’il n’y a pas eu, de la part du franchiseur, de rupture brutale. Dans la mesure où selon eux, le franchisé s’était « délibérément abstenu d’aviser le franchiseur qu’il souhaitait renouveler le contrat » et qu’étant donné les avertissements de son partenaire, il « ne s’attendait pas » non plus à un tel renouvellement.
Pour la cour, la clause imposant au franchisé de modifier les couleurs de son point de vente après la fin du contrat aurait dû être limitée dans le temps
De même, la cour confirme le sort de la clause du contrat concernant l’obligation de repeindre le point de vente dans de nouvelles couleurs. Et ce, pour deux raisons.
D’abord parce qu’elle n’était pas limitée dans le temps et tombe donc sous le coup de l’article L.341-2 du code de commerce. Lequel considère comme « non écrite » toute clause « ayant pour effet, après l’échéance ou la résiliation d’un contrat tel le contrat de franchise, de restreindre la liberté d’exercice de l’activité commerciale de l’exploitant qui l’a précédemment souscrite ». Sauf si, entre autres, elle n’excède pas un an.
« Peu importe » en l’occurrence aux yeux des juges que le contrat concerné ait été signé en 2005 et soit arrivé à échéance en 2008, c’est-à-dire bien avant la loi du 6 août 2015 (dite Loi Macron) à l’origine de cet article du code, comme l’a fait valoir le franchiseur. Puisque la loi précisait que cet article « s’appliquait à l’expiration d’un délai d’un an après sa promulgation ». Le franchiseur ne pouvait pas, a posteriori, modifier la clause ? Tant pis pour lui !
Par ailleurs, les couleurs en litige ne sont pas jugées assez distinctives pour être l’apanage d’une seule enseigne
Deuxième raison d’annulation de la clause pour les magistrats : les deux couleurs que l’enseigne considère comme siennes sont « utilisées par au moins une autre chaîne du secteur » et sont aussi, selon les magistrats, trop évidemment symboliques de l’activité considérée pour être l’apanage d’un seul franchiseur.
De fait, elles interdisent à un franchisé de rejoindre un réseau concurrent. Donc « la clause litigieuse, interdisant pour plus d’une année à compter de l’échéance du contrat non renouvelé, d’utiliser ces mêmes couleurs, est bien de nature à restreindre la liberté d’exercice de l’activité commerciale de l’exploitant qui l’a précédemment souscrite. »
Des indemnités limitées
En conséquence, les juges précisent que, si en effet le franchisé a continué « pendant plus de 10 mois après la fin du contrat » à arborer le logo et la marque du franchiseur, ce qui a pu induire en erreur la clientèle, le préjudice pour l’enseigne « n’est pas établi » pour la période postérieure au 22 juillet 2009, date à laquelle il est démontré que ces signes distinctifs ont été retirés. Quant à « l’atteinte à l’image de la marque résultant du retard (à les enlever) », elle est, selon les juges, d’un « caractère très limité », notamment sur le plan financier, eu égard au montant des redevances perdues. La cour approuve donc les premiers juges d’avoir réduit à 5 000 € (au lieu de 100 000 demandés) l’indemnité à laquelle le franchisé est condamné.
Par ailleurs, la cour annule les condamnations du franchisé à 3 000 € par le juge des référés (du TGI de Strasbourg) et à 5 000 par la cour d’appel de Douai. Dans la mesure où l’ordonnance de référé comme l’arrêt d’appel « ne sont pas revêtus de l’autorité de la chose jugée » et que, selon elle, la clause litigieuse est nulle. Ces sommes devront être restituées au franchisé.
Le franchisé réclamait aussi le remboursement par le franchiseur de 15 000 € de frais de travaux réalisés (pour changer les couleurs du point de vente). La cour reconnaît que le franchiseur n’avait « pas le droit de les imposer ». Mais, au vu des factures produites, réduit la somme qu’il devra verser au franchisé à hauteur de 800 €.
Le franchiseur est condamné aux dépens de première instance et d’appel.