Placée en liquidation judiciaire, une société franchisée sort de la procédure qu’elle a enclenchée pour vice du consentement contre son franchiseur. Resté seul dans le litige, le franchisé tente d’obtenir des dommages et intérêts à titre personnel. La cour d’appel de Dijon le déboute.
L’arrêt prononcé le 27 août 2019 par la cour d’appel de Dijon peut surprendre. Il est toutefois intéressant à connaître par tout franchisé (ou candidat à la franchise) qui s’interroge sur ses possibilités d’indemnisation en cas de litige avec son franchiseur.
Après avoir constitué une société en 2012, un entrepreneur se rapproche d’une enseigne de son secteur, dans l’espoir de développer son activité et, à terme, de transmettre son entreprise à son fils, lors de son départ en retraite prévu quelques années plus tard.
Des « données financières irréalistes » et un « consentement vicié », selon le franchisé…
Début 2014, il reçoit un DIP (Document d’information précontractuelle) dans lequel le chiffre d’affaires prévisible est estimé pour son affaire entre 665 et 970 000 € HT (et même entre 775 000 et 1,13 M€ en hypothèse haute). Avec des retours sur investissement respectifs de 3 et 2 ans.
En tant que gérant de sa société, il signe le contrat de franchise et ouvre son point de vente quelques mois plus tard. Mais les résultats ne sont pas là. Au bout d’un an d’exercice, le magasin n’a réalisé que 140 000 € de CA soit à peine 30 % des prévisions les moins importantes. Les pertes enregistrées s’élevant, elles, à 9 000 € par mois.
…Qui réclame plus de 600 000 € d’indemnités
Pour le franchisé, qui a découvert après coup les difficultés d’autres membres de ce réseau (d’une dizaine d’unités alors), son échec est de la responsabilité du franchiseur. En lui transmettant (ainsi qu’à la banque) des « données financières irréalistes », celui-ci a « vicié son consentement ».
En février 2016, il saisit la justice et réclame 100 000 € de dommages et intérêts pour lui-même, estimant avoir « perdu la chance d’obtenir le remboursement de son compte courant (90 000) et subi un préjudice moral (10 000) ». Quant à sa société franchisée, qu’il fait entrer aussi dans la procédure, elle demande 558 200 € (pour avoir perdu la chance de réaliser la marge brute prévue, de rembourser son emprunt, de payer ses loyers et factures).
La liquidation judiciaire de sa société et l’abandon de la procédure par le liquidateur changent la donne
Mais quelques jours plus tard, la société franchisée est placée en liquidation judiciaire. Le liquidateur ne poursuivant pas la procédure, le franchisé continue seul.
Il demande alors à titre personnel la condamnation de son ex-partenaire à 350 000 €, correspondant à ses différentes « pertes de chance », concernant les sommes qu’il a mises en garantie de son emprunt (y compris son contrat d’assurance-vie), le remboursement de son compte courant, le règlement de ses salaires jusqu’à sa prise de retraite, le manque à gagner sur le montant de celle-ci (affaibli par les salaires manquants) plus son préjudice moral. Et le franchisé insiste bien sur le fait que les « données financières irréalistes et tronquées » qui lui ont été transmises par le franchiseur ont « faussé le calcul des risques qu’il a pris à titre personnel ».
Pour la cour d’appel, seule la société franchisée aurait pu se prévaloir d’un vice du consentement
Saisie, la cour d’appel de Dijon déboute le franchisé. Les magistrats considèrent que, dans la mesure où le contrat de franchise a été signé par la société franchisée, elle seule « pourrait se prévaloir d’un vice de son consentement ».
« Pour prétendre à la responsabilité civile (de la société du franchiseur) à son (endroit), il incombe (au franchisé) de démontrer que celle-ci a commis à son encontre des manœuvres dolosives indépendantes de celles dont la société franchisée pourrait se plaindre ».
En outre, le document contenant les chiffres contestés « n’a pas été remis au franchisé à titre personnel » et « rien ne permet », selon des juges, « de retenir que la société du franchiseur serait intervenue lors de la négociation de l’emprunt » et des garanties l’accompagnant.
Par ailleurs, « la perte du compte-courant d’associé, la perte de chance de percevoir des salaires jusqu’à son départ en retraite ou la perte de chance d’obtenir une retraite optimale invoquées par le franchisé ne sont que les conséquences du dommage subi par la société et ne constituent donc pas un préjudice strictement personnel à cet associé ».
Seul le préjudice moral pourrait être pris en compte, admet la cour. A condition que les manœuvres dolosives soient démontrées, ce qui, selon elle, n’est pas le cas.
Aucune indemnisation à titre personnel n’est accordée par la cour au franchisé
Résultat, toutes les demandes d’indemnités du franchisé lui sont refusées.
Aurait-il eu plus de succès si sa société avait continué la procédure via le liquidateur ? La cour d’appel aurait-elle considéré que le consentement de celle-ci avait été vicié ? Rien n’est moins sûr. Pour les juges de première instance par exemple, le franchiseur n’a pas commis de faute. Certes il a transmis des données chiffrées, mais pas un compte prévisionnel. Etc.
Bilan : le franchisé a perdu son investissement, n’a pas pu transmettre son entreprise à son fils comme prévu et a dû anticiper son départ en retraite. Précisons que l’enseigne, créée en 2011, n’aligne plus aujourd’hui sur son site internet que 5 magasins en France.