Tributaires des caprices de la météo, menacées par la grande distribution et le e-commerce, les enseignes de jardineries affûtent leurs outils pour consolider leurs positions. Au menu : rapprochements stratégiques, diversification et croissance en franchise.
La distribution spécialisée a, courant 2017, été le théâtre de deux rapprochements spectaculaires. Le rachat de Bricorama par les Mousquetaires (enseignes Bricomarché et Brico Cash) d’abord. L’opération, finalisée le 4 janvier, a donné naissance à un ensemble représentant près de 700 points de vente, quelque 2,6 milliards d’euros de chiffre d’affaires et plus de 13 % de parts de marché. La reprise de Jardiland par la coopérative InVivo (enseignes Gamm vert et Delbard), ensuite, enclenchée en octobre. Depuis, la nouvelle entité a pris forme : celle d’un réseau de près de 1 400 magasins, pesant 2,3 milliards d’euros au total, soit près de 20 % des ventes hexagonales de produits pour le jardin et l’animal (source : Promojardin).
Gamm vert et Jardiland unies pour le meilleur
Ces rapprochements interviennent alors que les deux activités piétinent. « La croissance du marché français du bricolage et du jardinage n’aura pas dépassé 1 % par an sur la période 2008-2017″, pointe ainsi une étude récente du cabinet Xerfi Precepta. Elle restera « sous la barre des 2 % annuels d’ici à 2020″, prévoient en outre les experts. Une hausse modeste qui sera par ailleurs « entièrement absorbée par le e-commerce, tandis que les ventes en magasin stagneront », annoncent-ils.
Si les ventes par internet ne représentaient que 3 % du marché de la jardinerie en 2016, leur progression est en effet rapide : + 8,2 % entre 2015 et 2016. Et davantage encore sur le créneau de l’animalerie où elles ont, sur la même période, bondi de 29 % pour atteindre 8 % du chiffre d’affaires total du secteur. »
« Sur un marché sous pression, de la grande distribution d’un côté et des sites internet de l’autre, nos enseignes avaient besoin de se rapprocher pour atteindre une taille critique et aborder l’avenir avec plus de force », explique Thierry Blandinières, le directeur général d’InVivo. Marques « fortes et très complémentaires, tant en termes de savoir-faire et de positionnement que de couverture territoriale », Gamm vert, Jardiland et Delbard pourront à l’avenir jouer les synergies (achats, logistique, marques propres, marketing…) pour gagner en efficacité. Le nouvel ensemble vise aussi une stratégie cross canal plus dynamique : e-commerce, click & collect, digitalisation des points de vente, mise en place de communautés de clients et d’experts en ligne… Et envisage enfin de nouveaux relais de croissance. Sont notamment évoquées la création d’une enseigne spécialisée dans l’animalerie et d’un réseau Gamm vert Bio (un pilote est espéré pour ce printemps).
Truffaut veut accélérer grâce à la franchise
Remède à la météo-dépendance du secteur, et moyen de conquête d’une nouvelle clientèle, la diversification est également au menu du numéro deux du secteur. Truffaut fut pionnier en la matière, en ouvrant très tôt les rayons de ses magasins au textile et à la décoration. Désormais loisirs créatifs, arts de la table ou épicerie y sont légion. Et dernièrement, le jouet, à son tour, a fait son entrée dans le réseau. Surreprésentée en région parisienne (23 magasins sur 59), où elle déploie de très grandes surfaces, l’enseigne mise aussi sur un autre levier pour consolider ses positions en province : la franchise.
Le modèle avait été très opportunément utilisé par la marque jusqu’ici (7 unités seulement). Changement de cap avec la mise en place récente d’une équipe dédiée, emmenée par Régis Lelièvre, Directeur développement affiliation. « Nous entrons dans une logique de croissance. Les créations de magasins intégrés sont des dossiers très complexes. Nous ne voulons pas nous priver de la possibilité d’accélérer en ouvrant avec des indépendants », explique-t-il. « La franchise doit nous permettre de mieux mailler le territoire, en allant dans les régions où nous ne sommes pas présents, comme le Rhône-Alpes, le Nord ou le Centre ».
L’enseigne travaille actuellement dans ce but à la mise sur pieds d’un concept magasin plus petit (4 500 à 5 000 m²), adapté aux villes moyennes. « Notre cible, ce sont les jardineries, sous enseigne ou pas, qui souhaiteraient nous rejoindre. Mais aussi des investisseurs pour des créations pures », précise le responsable. Qui, sans annoncer d’objectifs arrêtés en termes de nombre de points de vente, se dit prêt à saisir « toutes les opportunités de croissance, y compris le rachats de petits réseaux », qui permettront d’améliorer la couverture territoriale de Truffaut.
Botanic cible les jardineries indépendantes
Une densification qui est également à l’ordre du jour du côté de l’enseigne de jardinerie naturelle Botanic (65 points de vente à ce jour). « Nous voulons participer à la consolidation du marché en intégrant les jardineries indépendantes désireuses de nous rejoindre », annonçait en novembre Luc Blanchet, son Président. Elle ira de pair avec la poursuite de la transformation des magasins du réseau, engagée il y a deux ans (35 sites repensés à date). Ici encore il est question de diversification, à la décoration, désormais mélangée au végétal, mais aussi et surtout à l’alimentation bio, appelée à devenir un élément phare du concept, ainsi qu’au bien-être naturel. Botanic dispose d’un autre atout pour conforter ses positions : son réseau Médor et Compagnie, spécialisé en alimentation et accessoires pour animaux de compagnie. Et le groupe a racheté en janvier 2017 son concurrent Rapid’Croq, moyennant quoi le pôle fédère aujourd’hui une quarantaine de points de vente sur le territoire. Un nombre appelé à continuer de croître, notamment grâce à la franchise.
Kiriel et Point Vert se rapprochent
Les chaînes de petites jardineries indépendantes de proximité ne sont pas en reste. Ainsi de Kiriel (Groupe Avril) qui a fait le choix de créer, au 1er janvier, un partenariat aux achats avec le groupe Apex (magasins Point Vert). « Il s’agit pour nous de jouer la consolidation en nous rapprochant d’un acteur fort, tout en conservant notre indépendance, afin de rester concurrentiels face à des poids lourds comme celui né du rapprochement entre Gamm vert et Jardiland, qui bénéficie désormais d’un pouvoir de négociation énorme », confie Céline Coutelle, Responsable marketing et communication du réseau de 80 points de vente.
Tout en restant proche du terrain et des attentes de ses clients historiques, Kiriel fait par ailleurs progressivement évoluer son offre. « Nous essayons de nous adapter aux attentes des néo-ruraux comme à la diminution de la taille des jardins, en proposant des végétaux plus petits ou en développant notre offre de désherbants naturels, par exemple », décrit-elle. Au printemps, l’enseigne arborera en outre un nouveau logo plus moderne, et une nouvelle base-line, Jardin et Animaux, plus claire et explicite.
Espace Émeraude fait sa révolution
De taille équivalente, et très rurale elle aussi, la chaîne Espace Emeraude n’a pas davantage renoncé à se réinventer. L’enseigne, spécialiste en outillage de jardin, motoculture et vêtements de travail, et historiquement adepte de l’utilitaire plutôt que du beau, a ainsi dévoilé fin janvier aux Ponts de Cé, en Maine-et-Loire, le pilote de son nouveau concept magasin. Beaucoup plus soigné, celui-ci entend séduire les propriétaires de maisons de campagne comme les néo-ruraux. Revendiquant 90 points de vente sur le territoire, Espace Emeraude espère, avec ce modèle repensé, attirer de nouveaux candidats à l’entreprenariat et relancer son développement.