Ayant accepté de rejoindre un nouveau concept lancé par son franchiseur, un franchisé ne parvient pas à ses objectifs. Le franchiseur résilie le contrat et l’assigne en justice. Le contrat n’est pas annulé, mais le franchiseur est condamné à des dommages et intérêts pour mauvaise foi.
La cour d’appel d’Amiens vient de trancher, le 10 janvier 2019, un litige survenu entre un important franchiseur et un de ses franchisés à l’occasion d’un changement de concept.
Mai 2010 : après presque trois années de collaboration sans accroc sous une des enseignes du franchiseur, un franchisé accepte sa proposition de transformer son point de vente. Objectif : le mettre aux normes d’un nouveau concept lancé, sous une nouvelle marque, par le franchiseur dans le même secteur d’activité.
Trois contrats, de franchise (pour 7 ans), de location-gérance et d’approvisionnement sont alors conclus. Avec notamment pour but, convenu en commun par les deux parties, de permettre au franchisé, au terme de trois années d’exploitation, d’acquérir le fonds de commerce.
Un nouveau concept qui ne tient pas tout à fait ses promesses
Mais les résultats escomptés ne sont pas au rendez-vous. Le nouveau concept permet certes au chiffre d’affaires d’augmenter de 10 %, mais pas de 20 % comme annoncé. Et la société franchisée n’atteint que 87 % du prévisionnel la première année, 84 % la deuxième et 79,5 % la troisième. Quant au résultat net, au lieu de 32 800 € puis 37 400 € et enfin 39 200 €, il s’établit respectivement à -23 400 €, -3 900 € et enfin +6 900 €.
En septembre 2014, à l’initiative du franchiseur, les deux parties entrent en discussion sur les conditions financières de leur séparation. Mais avant qu’elles n’aboutissent, en novembre, le franchiseur résilie le contrat de location-gérance (ce qui entraîne aussi la fin du contrat de franchise). Et en décembre, il assigne la société franchisée en justice, lui réclamant le paiement de redevances de franchise, de location-gérance et de marchandises impayées.
Après des procédures longues et complexes, comprenant un passage devant la Cour de cassation, la cour d’appel d’Amiens est saisie.
Assigné en justice, le franchisé tente d’obtenir l’annulation de son contrat…
Estimant avoir été trompé sur la rentabilité réelle du nouveau concept, le franchisé réclame pour sa part l’annulation de ses contrats de franchise et de location-gérance. Mais aussi des dommages et intérêts liés à une exécution déloyale selon lui des contrats par le franchiseur. Enfin il conteste la demande de paiement des marchandises.
Les magistrats d’Amiens n’accordent pas au franchisé l’annulation de ses contrats. Ils notent que « le caractère récent du (nouveau concept) ne permettait pas (au franchiseur) un comparatif fiable avec d’autres commerces. » De plus, « le caractère déraisonnable des prévisions » n’est, selon eux, « pas démontré ». Et rien ne prouve à leurs yeux que les résultats « ne pouvaient manifestement pas être atteints ». Ni que « les pertes des deux premiers exercices auraient exclu toute perspective d’acquisition du fonds de commerce (par le franchisé) ».
…Mais les magistrats estiment qu’il s’est engagé « en connaissance de cause »
La cour reconnaît certes que le bénéfice brut de la société franchisée, nettement inférieur à ce qui était prévu, dépendait des achats effectués par le commerçant. Mais le contrat ne lui imposait que l’acquisition de 40 à 50 % de ses marchandises. Si les charges imposées par les contrats de franchise et location-gérance ont eu un impact sur le résultat net, celui-ci n’est (donc) « pas totalement étranger aux décisions de gestion » du franchisé. Lequel a d’ailleurs pu, malgré tout, l’améliorer au fil des exercices.
Enfin, « commerçant expérimenté et locataire-gérant « sortant », (le franchisé) connaissait particulièrement bien l’environnement commercial local dans lequel il évoluait depuis plusieurs années, les attentes de sa clientèle et les contraintes réelles du métier. »
Il avait également « intégré le fait que la redevance de location-gérance passait de 2 à 3,3 % ». Il s’est donc engagé en connaissance de cause. Il n’y a pas lieu, selon la cour, d’annuler ses contrats pour tromperie.
La cour condamne le franchiseur pour « manquement à l’intérêt commun des parties »…
La cour d’appel donne toutefois en partie raison au franchisé en infligeant au franchiseur des dommages et intérêts pour une exécution déloyale des contrats de franchise et de location-gérance.
Les magistrats reprochent notamment au franchiseur de n’avoir donné aucune réponse à plusieurs courriers du franchisé qui l’alertait avec précision sur ses difficultés. Pour les juges, « le fait que dès la fin du premier exercice, le franchiseur (…) n’ait eu aucune considération pour les demandes du franchisé (notamment sur la révision du taux de location-gérance), privilégiant son propre investissement, constitue une faute dans l’obligation d’exécuter loyalement les contrats liés de location-gérance et de franchise. Il caractérise aussi un manquement au regard de l’article L 330-3 du code de commerce (loi Doubin) qui dispose que le contrat est conclu dans l’intérêt commun des deux parties. »
« De fait, (le franchiseur) a ainsi transféré sur le seul franchisé les risques inhérents à la mise en place d’un concept nouveau (…) » au mépris des objectifs communs. Selon les termes mêmes de la cour, « le préjudice commercial subi par (le franchisé) et résultant de l’exécution de mauvaise foi imputable (au franchiseur) est évalué à la somme de 150 000 euros sur la période 2011 à 2014. »
…Et pour un comportement « de mauvaise foi » lors de la résiliation du contrat
Les magistrats considèrent également que la résiliation des contrats effectuée le 13 novembre 2014 par le franchiseur a « procédé d’un comportement de mauvaise foi ». Dans la mesure où les deux parties étaient, depuis le 15 septembre, en « pourparlers sur les conditions financières de la fin du contrat » et qu’aucune faute contractuelle n’était reprochée au franchisé. De plus, cela a privé la société du franchisé (liée par ses contrats) « de la possibilité de poursuivre toute activité et d’une chance de pouvoir acquérir un fonds de commerce ». Le préjudice est estimé à 30 000 €.
Enfin, le franchiseur bailleur a pris plus de deux ans pour mettre son local en conformité avec les exigences de l’administration. Outre « l’impact défavorable auprès de la clientèle d’un local peu adapté voire dégradé », cela a mobilisé l’attention et coûté du temps au franchisé, ce qui a eu un impact sur la gestion du fonds. Préjudice estimé à 5 000 €
La cour accorde ainsi au total 185 000 € de dommages et intérêts au franchisé.
Il devra en revanche s’acquitter des redevances de franchise correspondant pour l’essentiel à des prestations délivrées avant le 15 septembre 2014. Et de ses redevances de location-gérance jusqu’à la fin effective du contrat le 13 novembre. Soit un peu plus de 50 000 €.
Le fournisseur lié au franchiseur est, lui, condamné pour « déséquilibre significatif »
Le franchisé contestait aussi le paiement des marchandises qui lui était réclamé. Selon lui, le fournisseur lié au franchiseur avait pratiqué à son égard des prix excessifs, supérieurs notamment à ceux concernant d’autres franchisés du groupe.
Constatant à l’issue d’un comparatif précis, que cette distorsion de tarifs avec un franchisé exploitant une autre enseigne du franchiseur portait en effet sur « un nombre très significatif de produits » vendus au plaignant « dans tous les rayons » de son point de vente, les magistrats sanctionnent le fournisseur.
« En pratiquant des tarifs excessifs sur des produits que (le franchisé) avait (de par ses contrats liés) l’obligation d’acquérir pour une part importante de son activité, (le fournisseur) a (…) soumis son partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties (…)
Le préjudice est évalué par la cour à 40 000 € (en faveur du franchisé).
Toutefois, celui-ci devra verser au fournisseur plus de 50 000 € correspondant à des livraisons effectives de marchandises.
La cour ayant ordonné les compensations entre ces différentes sommes, le franchisé obtient une victoire partielle et au total environ 120 000 € de dommages et intérêts. C’est loin, toutefois, de ce qu’il souhaitait avec l’annulation de ses contrats. Et le franchiseur peut encore former un pourvoi en cassation.