Un franchisé qui n’a jamais pu se verser de rémunération pendant cinq ans obtient la nullité de son contrat. Les juges estiment que le franchiseur ne lui a pas communiqué les informations qui lui auraient permis de… ne pas s’engager.
Il est rare qu’un franchisé obtienne de la justice l’annulation de son contrat pour vice du consentement. Surtout quand le litige éclate en fin de parcours après plusieurs années de coopération.
C’est pourtant ce que vient de décider la cour d’appel de Douai, dans un arrêt du 15 juin 2023. Les motivations des juges ne manquent donc pas d’intérêt.
Dans cette affaire, le contrat de franchise est signé en décembre 2015 pour 5 ans. Mais en mai 2020, peu satisfait de son expérience, le franchisé annonce à son partenaire qu’il ne compte pas renouveler son contrat une fois celui-ci parvenu à son terme.
En même temps, il lui signifie qu’il ne s’acquittera pas de ses redevances pour les mois de mars, avril et mai 2020, « compte tenu de l’absence de prestations fournies pendant cette période ».
Pour le franchiseur, le franchisé s’est montré d’une « extrême déloyauté »
Le franchiseur réplique en résiliant le contrat du franchisé le 10 septembre 2020, trois mois avant l’échéance prévue. Il lui reproche plusieurs fautes contractuelles et lui réclame de s’acquitter de plus de 5 000 € de « redevances impayées ». Puis, il s’adresse à la justice.
Devant la cour d’appel, le franchiseur réclame notamment, constat d’huissier à l’appui, des indemnités de l’ordre de 270 000 € au total pour « concurrence pendant le contrat », « extrême déloyauté », non-respect de la clause de non-concurrence post-contractuelle et « déstabilisation du réseau ».
Le franchiseur demande également à la cour d’enjoindre au franchisé de cesser immédiatement toute activité identique ou similaire dans un rayon de 50 kilomètres autour du point de vente franchisé, sous peine de 500 € par jour de retard.
Pour la cour, l’information précontractuelle a été défaillante
Au lieu de cela, la cour prononce l’annulation du contrat de franchise réclamée en défense par le franchisé.
Les magistrats notent d’abord que le DIP (Document d’information précontractuel) remis au futur franchisé en octobre 2015 ne contenait pas les comptes annuels de la société du franchiseur pour l’une des deux années requises (2013 en l’occurrence).
De même, les éléments sur l’état du marché ne correspondaient pas à ce que prévoit la loi. « Si le franchiseur n’a pas à établir une étude (de marché complète…) ni à fournir des chiffres prévisionnels », rappelle la cour, « il doit cependant donner suffisamment d’informations au candidat à la franchise pour lui permettre de consentir au contrat en toute connaissance de cause. »
Or, dans ce litige, « leur carence a nécessairement empêché le franchisé d’évaluer les chances de succès et les perspectives de rentabilité de son exploitation. Il n’a en effet disposé que d’une information sans intérêt sur le marché général, et d’aucune information sur l’offre (état des entreprises concurrentes) et la demande (typologie des consommateurs concernés par l’activité) existant sur le marché local, ainsi que sur les perspectives de développement (opportunités et menaces existantes). »
Les juges estiment que, si le franchisé avait eu connaissance des informations manquantes, il ne se serait pas engagé
On ne peut reprocher au franchisé « un manquement à son obligation de se renseigner » poursuivent les magistrats, « alors qu’il n’a disposé dans le délai restreint de deux mois (séparant) la remise du DIP et la signature du contrat de franchise, d’aucune information sur laquelle il aurait pu s’appuyer (…) ». D’autant qu’il « n’avait d’expérience ni dans l’entrepreneuriat, ni dans l’activité spécifique de la franchise et ne bénéficiait pas d’une quelconque connaissance du marché local, comme en justifie son cursus professionnel. »
La société franchisée « n’a pas prospéré », constatent par ailleurs les juges, « son dirigeant n’ayant jamais pu se verser de rémunération ». Or, selon plusieurs témoignages de franchisés et d’après des captures d’écran de sites spécialisés, le franchiseur a fait valoir « une rentabilité très rapide et un retour sur investissement très rentable ». Du type 120 000 € de CA après quatre ans avec un apport personnel de 20 000 € seulement et un investissement total de 70 000.
En outre, selon le témoignage d’une personne ayant fait partie pendant plus de 20 ans de l’équipe de du franchiseur, le réseau comptait 95 points de vente quand le franchisé y est entré en 2015. Il en compterait moins de 50 actifs maintenant, « un grand nombre d’entre eux se trouvant en difficultés financières ».
La société franchiseur « se contentant en réponse de produire des documents très anciens et parcellaires » n’est pas parvenue à convaincre la cour de la bonne santé de son réseau. Les magistrats notent encore qu’elle « ne justifie pas non plus de sa propre santé financière ».
Pour la cour d’appel de Douai, le franchisé et sa société « démontrent donc suffisamment que l’information remise par la société (franchiseur) était sciemment incomplète et que les informations manquantes les auraient convaincus de ne pas s’engager s’ils en avaient eu connaissance. »
Conclusion : « Il sera donc retenu que leur consentement a été vicié et le contrat de franchise sera annulé. »
Le franchisé n’obtient toutefois aucune restitution ni dommages et intérêts
Conséquence : les parties sont remises dans l’état où elles se trouvaient avant la signature du contrat.
Les magistrats déboutent la société franchiseur de ses demandes « formées en application du contrat de franchise annulé ». De plus, considérant qu’elle n’apporte pas la preuve de la « duplicité et de la déloyauté » du franchisé, ils rejettent sa demande de dommages et intérêts.
Côté franchisé, la cour refuse de lui accorder la restitution de son droit d’entrée de 47 400 €. Pour les juges, cette somme a été perçue « en contrepartie de la communication du savoir-faire, de l’assistance au démarrage, des frais de mise en place de la franchise et du droit d’utiliser l’enseigne ».
Même refus concernant les redevances mensuelles d’un montant de 33 120 € sur 5 ans. Pour les juges, elles ont été versées en contrepartie du droit d’utiliser le concept du franchiseur et des services apportés par celui-ci après l’ouverture du centre.
Les juges confirment en outre le jugement de première instance en ce qu’il a condamné le franchisé à s’acquitter de près de 3 000 € de redevances impayées.
Enfin, ils refusent d’accorder au franchisé les 23 000 € de dommages et intérêts qu’il réclamait pour avoir « réalisé des investissements en pure perte ». Motif : « puisqu’il a maintenu son activité pendant une durée de presque cinq années, il ne démontre pas la réalité du préjudice invoqué ».
Le franchisé obtient donc la nullité de son contrat mais aucune compensation. Seule consolation : il échappe de fait à la clause de non-concurrence post-contractuelle qui lui interdisait pendant deux ans dans un rayon de 50 kilomètres autour de sa ville de rejoindre un réseau concurrent ou similaire et de pratiquer l’activité même en tant qu’employé dans un autre point de vente.
Franchisé et franchiseur peuvent bien sûr se pourvoir en cassation.