Fermer
Secteurs / Activités

      Franchise participative : les dangers d’une formule - Brève du 18 mars 2022

      Brève
      18 mars 2022

      La cour d’appel de Caen vient de trancher un litige en matière de franchise participative. Les magistrats sanctionnent un « abus de minorité » exercé selon eux par le franchiseur. Les franchisés concernés ne sont pas pour autant libérés de toute contrainte.

      cour d’appel de Colmar – Alsace – FranceLa cour d’appel de Caen s’est prononcée le  20 janvier 2022 dans un litige concernant un accord de franchise participative.

      Les partisans de cette formule – où le franchiseur participe au capital de la société franchisée – expliquent que cela peut rassurer certains partenaires du franchisé et par exemple lui permettre d’emprunter plus facilement. Ses détracteurs dénoncent une méthode qui, selon eux, permet au franchiseur de limiter à l’excès la liberté du franchisé.

      Le litige tranché par la cour d’appel de Caen illustre bien les dangers de la formule. Dans cette affaire, un couple de franchisés crée une SARL et signe, en février 2007, un contrat de franchise et un contrat d’approvisionnement avec une enseigne de la grande distribution alimentaire, dans le but d’exploiter en location-gérance un fonds de commerce de supermarché. Il est convenu qu’une filiale du franchiseur prenne une participation de 26 % au capital de la société franchisée. Un montage classique dans les accords de franchise participative.

      Le franchiseur détient 26 % des parts de la société franchisée

      Arrivés presque au terme de leurs premiers contrats de 7 ans, les franchisés souhaitent exploiter leur propre fonds de commerce (et ne plus rester en location-gérance) et, pour cela, créer un nouveau supermarché adoptant une autre enseigne du même groupe.

      Un protocole d’accord est signé en ce sens avec le franchiseur en février 2014. Il prévoit la modification des statuts de la société franchisée et notamment la limitation des pouvoirs des gérants en exigeant une majorité des trois quarts pour toute décision significative. C’est à dire qu’il leur faudra réunir au moins 75 % des parts. Impossible si le détenteur des 26 % y est opposé et fait jouer sa minorité de blocage.

      Le protocole de 2014 englobe aussi un « pacte d’associés » prévoyant entre autres un droit de préemption au profit de l’associé minoritaire (le franchiseur) en cas de cession des parts sociales détenues par les franchisés.

      Deux nouveaux contrats de franchise et d’approvisionnement sont conclus pour une durée de 7 ans, renouvelables par tacite reconduction. Tout va plutôt bien jusque-là entre les deux parties.

      L’objet social de la société et les pouvoirs de ses gérants franchisés étaient limités

      Entraide entre franchisés au sein du réseauMais, en décembre 2019, invoquant « une rentabilité anormalement faible », due selon les conclusions d’un rapport d’experts-comptables à la politique tarifaire du groupe de franchise, les gérants franchisés convoquent une assemblée générale extraordinaire d’associés de leur société. Objectif : modifier ses statuts.

      D’abord parce que l’objet social de la société franchisée y est limité à « l’exploitation d’un fonds de commerce de type supermarché » sous l’une ou l’autre des enseignes du groupe de franchise, « à l’exclusion de toute autre ».  Or, ils envisagent de reprendre leur liberté après la fin de leur contrat.

      Ensuite parce qu’ils souhaitent réaménager les pouvoirs des gérants de façon à ne plus être soumis à cette majorité de 75 % concernant les décisions relatives au changement d’enseigne et à l’approvisionnement.

      Mais lors de cette assemblée générale du 20 décembre 2019, le représentant du franchiseur utilise sa minorité de blocage de 26 % pour s’opposer à la volonté des associés franchisés.

      Pour la cour d’appel, le franchiseur s’est livré à un « abus de minorité »…

      Pour la cour d’appel, il y a eu là, de la part du franchiseur, un « abus de minorité » au sens de l’article 1833 du code civil.

      En l’occurrence, l’associé minoritaire (le franchiseur) a bloqué une décision qui était dans l’intérêt vital de la société. Et ce, au nom de ses seuls intérêts égoïstes, c’est-à-dire la continuation de la franchise participative.

      Suite au vote négatif du franchiseur en décembre 2019, les franchisés ont régulièrement dénoncé, en février 2020, leurs contrats de franchise et d’approvisionnement. Ils l’ont fait dans les délais (un an avant la fin normale des contrats) et dans les conditions prévues par ces conventions.

      Selon la cour, il est donc aujourd’hui d’autant plus essentiel pour la société franchisée de pouvoir modifier son objet social, afin de ne plus être contrainte de continuer un partenariat avec un groupe d’enseignes dont elle ne veut plus.

      …Mais rien ne l’oblige à céder les parts qu’il détient dans la société franchisée

      En conséquence, la cour décide de suivre la procédure prévue par le législateur et de nommer un « mandataire ad hoc » qui devra, lors de la prochaine assemblée générale de la société franchisée, voter en lieu et place du franchiseur dans le sens de l’intérêt général de la société franchisée.

      Il y a donc fort à parier – même si la cour ne le lui impose pas – que ce mandataire votera afin que l’objet social de la société soit modifié comme le souhaitent les franchisés.

      Ceci étant, comme le fait remarquer Lucas Bettoni, maitre de conférences à l’université Toulouse-Capitole dans la Lettre de la Distribution de février 2022, leur mésaventure ne sera pas terminée pour autant.

      D’abord parce que le franchiseur va très probablement se pourvoir en cassation. Mais aussi parce que, même si ce vote favorable du « mandataire ad hoc » a finalement lieu, il ne signifie pas l’exclusion de l’associé minoritaire. Car rien n’oblige le franchiseur à céder les 26 % qu’il détient.

      On imagine aisément dans ce cas que cela continuerait à empêcher les franchisés de  passer cette société sous l’enseigne d’un autre groupe. Quel concurrent voudrait en effet dans sa chaîne de magasins d’une entité détenue en partie par un autre acteur majeur de la profession ? Or, dans ce secteur d’activité, on sait que l’adhésion à un réseau est une obligation sur le plan économique…

      Ce litige illustre bien les dangers que recèle la formule de la franchise participative pour les franchisés qui l’adoptent.

      Référence de la décision :

      Cour d’appel de Caen, chambre civile et commerciale, 20 janvier 2022, n° 21/01013