Domino’s Pizza sera-t-elle finalement condamnée suite aux accusations de concurrence déloyale avancées par Speed Rabbit Pizza ? Sur renvoi de la Cour de cassation, la cour d’appel de Paris – qui estime avoir encore besoin de précisions d’expert – n’écarte plus la possibilité de pratiques illicites pour l’une et de préjudice subi pour l’autre.
La franchise Domino’s Pizza a-t-elle oui ou non déloyalement concurrencé sa rivale Speed Rabbit Pizza ? L’enseigne anglo-saxonne a-t-elle accordé à ses franchisés des délais de paiement anormalement longs, des abandons de créance injustifiés, des prêts au mépris des règles concernant le monopole bancaire en France ?
Ce faisant, a-t-elle attribué à son réseau un avantage indu et porté préjudice à sa concurrente, en termes de chiffre d’affaires, de marges et de développement du parc de magasins ? Un préjudice estimé à 236 millions d’euros au 31 décembre 2021 par Speed Rabbit Pizza (dont 73 millions pour la période 2002-2020) ?
Ce sont les questions auxquelles, après déjà 8 ans de procédure, la cour d’appel de Paris avait à répondre sur renvoi de la Cour de cassation.
Suite à l’arrêt de cassation du 15 janvier 2020, la cour d’appel de Paris ne refuse plus d’examiner certaines pièces transmises par Speed Rabbit et nomme un expert
On se souvient peut-être que le tribunal de commerce de Paris avait, par un jugement du 7 juillet 2014, déclaré irrecevables de nombreuses pièces transmises par la partie plaignante et débouté Speed Rabbit de toutes ses demandes. Jugement confirmé pour l’essentiel le 25 octobre 2017 par la cour d’appel de Paris (Pôle 5, chambre 4).
Mais la Cour de cassation, par une décision du 15 janvier 2020, a cassé cette partie de l’arrêt et renvoyé l’affaire devant la cour d’appel afin qu’elle examine certains documents écartés et se prononce sur le fait de savoir s’il y a eu ou non concurrence déloyale.
La plus haute juridiction française a estimé que la cour d’appel aurait dû rechercher si les facilités financières concédées par Domino’s à ses franchisés n’étaient pas des prêts prohibés par la loi. De même, elle aurait dû regarder si « l’octroi de délais de paiement illicites et de prêts en méconnaissance du monopole bancaire n’avait pas pour effet d’avantager déloyalement les franchisés (Domino’s Pizza), au détriment des franchisés et de la société Speed Rabbit Pizza et ainsi de porter atteinte à la rentabilité et à l’attractivité du réseau (Speed Rabbit). »
Dans son arrêt du 18 mai 2022, la cour admet comme recevables les pièces communiquées par Speed Rabbit et contestées par Domino’s, pièces qu’elle avait précédemment écartées.
Toutefois, elle ne se prononce pas encore sur les différentes questions soulevées et nomme un expert afin de « l’éclairer » point par point. Une nomination réclamée par Speed Rabbit au cas où la cour ne se serait pas estimée suffisamment informée pour condamner Domino’s.
Délais de paiement : l’expert devra dire si Domino’s Pizza a procédé à un financement illicite de l’activité de ses franchisés entre 2002 et 2020
Concernant les délais de paiement, au vu des rapports fournis par plusieurs cabinets pour chaque partie, rapports qui s’opposent évidemment, la cour demande à l’expert « de lui donner les éléments lui permettant de déterminer si Domino’s Pizza France a pratiqué un financement illicite de l’activité des franchisés par une politique de dépassement systématique, voire systémique des délais de paiement imposés par la loi sur la période 2002 à 2020 ».
Les magistrats rappellent à ce sujet que « le délai de paiement des sommes dues ne pouvait (…) excéder soixante jours à compter de l’émission de la facture. » Et que « le non-respect des règles en matière de délais de paiement permet (…) de procéder à un financement illicite de l’activité des franchisés, puisque ce mode de financement est purement et simplement interdit (…) »
Pratique illicite de prêts consentis et abandons de créances : l’expert devra en « déterminer l’ampleur ».
A propos des prêts accordés aux franchisés, la cour demande à l’expert de « déterminer l’ampleur du financement par Domino’s Pizza France de l’activité des franchisés par la pratique illicite d’octroi de prêts en violation du monopole bancaire et d’abandons de créances à ses franchisés, le cas échéant en se faisant remettre tous documents lui paraissant utiles. »
Sur le « quantum » du préjudice subi – préjudice contesté par Domino’s – la cour donne mission à l’expert de lui fournir, « à partir des éléments produits par Speed Rabbit Pizza (…), tous éléments lui permettant de dire si l’octroi de délais de paiement et de prêts par (Domino’s) à ses franchisés a eu pour effet d’avantager ces derniers, au détriment des franchisés de la société (Speed Rabbit), et ainsi de porter atteinte à la rentabilité et à l’attractivité (de ce réseau) ».
A ce sujet, la cour détaille ses demandes à l’expert (pertes de marges résultant des ouvertures de points de vente franchisés manquées, pertes de chiffres d’affaires consécutives, privation de trésorerie).
En attendant les évaluations de l’expert…
Les juges refusent cependant d’allouer à Speed Rabbit la somme de 20 millions qu’elle réclamait en avance sur l’indemnisation de son préjudice. Elle fixe à 100 000 € le montant de la provision que l’enseigne devra verser à l’expert en avance de sa rémunération.
Enfin elle sursoit à statuer sur les demandes de Domino’s visant à faire condamner Speed Rabbit à 2 millions d’euros pour « violation du secret des affaires » et 3 millions de plus pour « de nouveaux dénigrements », dans l’attente des résultats de l’expertise demandée.
La cour d’appel de Paris n’a donc pas encore complètement tranché, même si on peut comprendre à la lecture de l’arrêt qu’il y a bien eu selon elle pratiques illicites de la part de Domino’s et préjudice subi pour Speed Rabbit. Reste à en évaluer l’étendue.