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      Pizza Sprint/Domino’s Pizza : les risques de la location-gérance et de la vente du réseau pour les franchisés - Brève du 21 mai 2024

      La fin d’un contrat de location-gérance d’un an peut-elle entraîner celle du contrat de franchise de dix ans conclu simultanément ? Un franchiseur a-t-il le droit de vendre son réseau à un concurrent qui veut l’avaler sans consulter ses franchisés au préalable ? La Cour de cassation vient de répondre « oui » à ces deux questions.

      Restaurant franchisé Pizza Sprint livraison de pizzasUn ex-franchisé Pizza Sprint, qui exploitait deux points de vente en location-gérance sous cette enseigne, vient de voir son pourvoi en cassation rejeté par la plus haute juridiction française.

      Comme le conflit collectif qui a opposé plusieurs dizaines de franchisés Pizza Sprint à Domino’s Pizza, ce litige particulier a pour origine le rachat de leur réseau régional par le géant anglo-saxon annoncé en octobre 2015 et devenu effectif en janvier 2016.

      De même que nombre de ses confrères à l’époque, ce franchisé ne souhaite alors pas passer sous l’enseigne américano-australienne. Il estime que le concept Domino’s Pizza est trop coûteux et au final moins rentable que celui de Pizza Sprint.

      Or, le repreneur a clairement affiché son intention de convertir peu à peu la petite centaine d’unités que compte alors le réseau breton en magasins à son enseigne.

      Le plaignant reproche au fondateur de Pizza Sprint de ne pas avoir consulté ses franchisés avant de vendre le réseau à Domino’s Pizza

      L’ex-franchisé n’est pas le dernier à faire connaître son opposition. Dès l’automne 2015, il reproche au fondateur du réseau de ne pas avoir consulté les franchisés avant de prendre sa décision alors que ceux-ci s’étaient engagés en fonction de sa personne. Un attachement lié entre autres à son savoir-faire spécifique bâti précisément en opposition au modèle de Domino’s Pizza, présenté comme le concurrent à ne surtout pas imiter…

      Les relations se tendent et dès le 6 janvier 2016, le franchisé assigne son franchiseur en justice.

      La réponse du repreneur ne se fait pas attendre : le 25 avril 2016, il dénonce les deux contrats de location-gérance du franchisé – contrats d’un an renouvelable par tacite reconduction – . Et il l’avertit qu’ils prendront fin en avril 2017, date à laquelle il devra lui restituer les fonds de commerce et ne fera plus partie du réseau.

      Le nouveau propriétaire de la société franchiseur fait également citer le franchisé devant le tribunal correctionnel, l’accusant de diffamation…

      Alors que le franchiseur met fin à ses contrats de location-gérance de 1 an, le franchisé exige la poursuite de ses contrats de franchise de 10 ans

      En avril 2017, convaincu de son bon droit, le franchisé déclare qu’il ne quittera pas les lieux et exige le maintien de ses contrats de franchise de 10 ans.

      Il s’appuie pour cela sur l’article 1 des contrats de location-gérance selon lequel les deux types de contrats (location-gérance et franchise) constituent un tout indivisible.

      Article qui précise en outre qu’ « il sera fait référence aux dispositions du contrat de franchise en cas de difficulté d’interprétation ou d’exécution liée à une contradiction actuelle ou future entre le contrat de franchise et le contrat de location-gérance ».

      Le tribunal de commerce de Rennes donne en partie raison au franchisé

      Tribunal de commerceCertes, le 12 juillet 2018, le tribunal de commerce de Rennes estime que la dénonciation des contrats de location-gérance par le franchiseur est « régulière ». C’est-à-dire qu’elle respecte les délais de préavis prévus en cas de non-reconduction. Il condamne donc le franchisé locataire-gérant à libérer les lieux avant la fin août et à régler ses loyers impayés (de près de 70 000 €).

      Mais les juges considèrent par ailleurs, comme le franchisé lui-même, que la résiliation anticipée des contrats de franchise par le franchiseur est, quant à elle, « irrégulière ». L’arrêt des contrats de location-gérance ayant pour but évident de sortir le franchisé du réseau alors qu’il n’a commis aucune faute contractuelle. Le tribunal condamne en conséquence le franchiseur à verser près de 778 000 € d’indemnités au franchisé.

      La cour d’appel de Paris valide la cessation des contrats de franchise, entraînée selon elle de plein droit par le non-renouvellement de la location-gérance

      Saisie par le franchiseur, la cour d’appel de Paris réforme ce volet du jugement. Pour les magistrats, le franchiseur a régulièrement « usé de son droit de ne pas renouveler » les contrats de location-gérance arrivés à échéance. Et, en raison de l’indivisibilité des deux types de contrats, la fin de la location-gérance « a entraîné de plein droit la caducité » des contrats de franchise.

      « En effet », précise l’arrêt du 29 juin 2022, « le contrat de location-gérance constitue le support du contrat de franchise sans lequel celui-ci ne peut s’exécuter. Le sort du contrat de franchise est lié à celui du contrat de location-gérance. »

      Peu importe, ajoute la cour, que les durées (1 an pour la location-gérance, 10 ans pour la franchise) soient différentes. Peu importe la disposition contractuelle selon laquelle en cas de contradiction, référence serait faite au contrat de franchise.

      Il n’y a pas, pour les magistrats parisiens, de résiliation anticipée abusive du contrat de la part du franchiseur.  Et peu importe qu’aucune inexécution contractuelle ne puisse être reprochée au franchisé.

      L’accord préalable des franchisés pour l’opération de rachat de Pizza Sprint par Domino’s Pizza n’était pas requis, selon les magistrats parisiens

      Le franchisé invoquait également une faute de son ex-partenaire résultant de la vente de sa société. L’opération ayant en effet entraîné un changement de dirigeant… alors que la société franchisée s’était précisément engagée « en considération de la personne » du franchiseur, avec lequel le franchisé était en contact – comme salarié – depuis plus de dix ans.

      Pour le plaignant, ce changement de contrôle avait entraîné un bouleversement de l’économie de ses contrats de franchise, avec notamment la disparition du savoir-faire. Il était donc « de nature à fonder une action en résolution du contrat de franchise aux torts exclusifs du franchiseur. »

      Mais pour la cour d’appel, l’accord préalable des franchisés n’était pas requis, dans la mesure où l’opération de rachat du réseau ne s’est pas déroulée sous la forme d’une fusion-absorption (avec achats des contrats) mais d’une cession de la totalité des parts ou actions (avec maintien des contrats de franchise). Ce qui fait que la société franchiseur, personne morale est restée inchangée. Par ailleurs, aucune clause du contrat n’interdisait ce changement de contrôle et de dirigeant.

      « Ainsi, l’opération de rachat par la société Domino’s Pizza France de la totalité des titres composant le capital social de la société (ayant fondé Pizza Sprint) ne peut être imputée à faute au franchiseur. »

      A l’issue de cet arrêt de 2022, l’ex-franchisé est débouté de ses demandes d’indemnités et condamné à plusieurs dizaines de milliers d’euros de loyers impayés.

      Location-gérance et vente du réseau : la Cour de cassation valide l’arrêt d’appel

      Cour de cassation juridique franchiseSaisie par le franchisé, la Cour de cassation le déboute en approuvant l’arrêt d’appel sur ces deux points.

      Pour les magistrats de la plus haute juridiction française, la cour d’appel de Paris a eu raison de considérer dans ce litige que « le contrat de location-gérance et le contrat de franchise associé au même fonds de commerce étaient indivisibles, de sorte que la cessation du premier à son terme avait entraîné de plein droit la caducité du second à la même date. »

      Par ailleurs, concernant l’engagement du franchisé en fonction de la personne du franchiseur, la Cour fait une réponse brève, qu’elle met en exergue de son arrêt, lequel est publié dans son bulletin, ce qui souligne l’importance qu’il revêt à ses yeux.

      « Si le contrat de franchise est conclu en considération de la personne du franchiseur », écrit la Cour, « pour autant, la cession de la totalité des parts ou actions de la société franchiseur et l’évolution de ses dirigeants (…) ne requièrent pas l’accord préalable des franchisés ».  Dans la mesure où elles « n’impliquent pas de changement de la personne morale en considération de laquelle le franchisé s’est engagé et n’emportent aucune cession du contrat de franchise » et dans la mesure aussi où aucune clause contraire ne figure au contrat.

      Un arrêt significatif en matière de location-gérance et de clause intuitu personae

      Cet arrêt du 15 mai 2024 par lequel la Cour de cassation rejette le pourvoi du franchisé constitue sans conteste une victoire pour Domino’s Pizza, condamné par ailleurs dans le conflit collectif avec d’autres ex-franchisés Pizza Sprint et le Ministre de l’Économie.

      Il souligne aussi toute la subtilité des clauses « intuitu personae » (en considération de la personne) qui figurent en général dans les contrats de franchise. Si un candidat à la franchise peut être amené à s’engager en fonction de la personnalité du créateur d’un concept (personne physique), cela ne saurait empêcher celui-ci de céder par la suite la totalité des parts de sa société (personne morale) et de quitter le réseau sans demander l’avis de ses franchisés.

      Ce litige particulier à l’intérieur du conflit collectif Pizza Sprint contre Domino’s Pizza illustre aussi, on l’aura compris, les risques que peut représenter la formule de location-gérance pour tout franchisé quand les durées des deux types de contrats (location-gérance et franchise) ne coïncident pas.

      >Référence des décisions citées :

      -Cour de cassation, chambre commerciale financière et économique, 15 mai 2024, pourvoi n° 22-20.747

      -Cour d’appel de Paris, Pôle 5, chambre 4, 29 juin 2022, RG n° 18/19812

      -Tribunal de commerce de Rennes, 12 juillet 2018, n° 2016F00351