En litige avec plusieurs franchisés, le groupe Carrefour les accuse d’avoir obtenu frauduleusement leurs procédures de sauvegarde, afin de pouvoir rejoindre une enseigne concurrente. Il est débouté en appel et en cassation.
La cour d’appel d’Amiens vient de débouter, dans un arrêt du 28 septembre 2023, le groupe Carrefour qui s’opposait à la procédure de sauvegarde d’un de ses franchisés.
Pour le franchiseur, la société du franchisé ne faisait pas réellement face à des « difficultés insurmontables » lorsqu’elle a réclamé du tribunal de commerce en 2020 d’être placée sous cette protection. Entre autres, les difficultés financières qu’elle a invoquées étaient selon lui fictives.
En réalité, elle n’aurait utilisé cette procédure que pour s’extraire du réseau et rejoindre une enseigne concurrente. Étant d’ailleurs en cela entraînée par un tiers extérieur, comme d’autres sociétés franchisées du réseau.
A l’appui de sa démarche, le franchiseur affirme notamment devant les magistrats que la société franchisée n’était pas transparente sur sa situation financière, qu’elle ne l’a pas alerté de sa démarche de protection auprès du tribunal et qu’elle n’a pas respecté ses engagements contractuels.
Pour la cour d’appel, les difficultés financières de la société franchisée n’étaient pas fictives…
La cour constate d’abord, à l’issue de l’examen des bilans concernant les exercices de la société franchisée portant sur les années 2017, 2018 et 2019, que le résultat d’exploitation s’est régulièrement dégradé sur la fin du contrat. Puisqu’il a été successivement de +5 459 €, puis –7 313 € et –8 649 € alors qu’il était encore de +32 687 € en 2016.
Pour la cour, ces chiffres « caractérisent des difficultés financières et constituent un signal d’alerte que le dirigeant (de la société franchisée) ne (pouvait) ignorer ». D’autant que « les charges, composées des impôts et taxes, salaires et traitements, charges sociales, dotations aux amortissements et autres (avaient) diminué sur les mêmes périodes ». Les difficultés financières n’étaient donc pas fictives.
Les magistrats notent en outre que la société franchisée a dû « faire face, à ses frais, à une clientèle ayant passé commande et réglé ses achats sur le site internet du franchiseur, servant ainsi de dépôt pour l’enseigne sans contrepartie financière ».
La cour retient encore que la société franchisée a vu s’implanter autour d’elle des concurrents pratiquant des prix bas qu’elle ne pouvait pas suivre. Et que ses demandes d’accompagnement pour l’amélioration de sa marge, tant auprès de son conseiller en franchise que du PDG du groupe lui-même, sont restées sans réponse.
…Elle avait raison de ne pas renouveler son contrat et de changer d’enseigne
La cour comprend ainsi que « face au mutisme » du groupe franchiseur, la société franchisée ait utilisé la possibilité qu’elle avait de dénoncer dans les délais son contrat signé en 2013, soit un an avant son échéance de 2020, et d’envisager dès lors de rejoindre une enseigne concurrente « au modèle économique différent ».
« Si les mécontentements de certains franchisés, exploitant un fonds de commerce dans le cadre de la même structure juridique qu’elle, ont pu faire écho à sa situation, ajoute la cour, il n’est pas démontré qu’ils soient à l’origine de sa démarche ».
« Il n’est pas davantage démontré (..) que le groupe concurrent l’a (sollicitée) » estiment encore les magistrats. Même si elle affiche, depuis son changement d’enseigne, des résultats d’exploitation de 47 888 € et de 54 269 €… Les magistrats rappellent en outre qu’il « n’est pas interdit, dans le cadre de la liberté du commerce et de l’industrie, de changer de partenaire commercial. »
La franchise participative en question
La cour d’appel d’Amiens relève ensuite que, si la société franchisée a pris la décision de changer d’enseigne en dénonçant son contrat de franchise dans le délai prévu, sa structure capitalistique « rendait difficile voire quasiment impossible ce changement dans la mesure où cette décision ne pouvait être prise que par un vote des associés représentant plus de 3/4 des parts sociales, c’est-à-dire 75 % du capital, alors que (les franchisés personnes physiques) n’en détenaient que 74 %, une filiale à 100 % du franchiseur détenant les autres 26 % ». Ce que l’on appelle une franchise participative.
« Dans ces circonstances, écrit la cour d’appel dans son arrêt, lorsque le tribunal de commerce a statué sur l’ouverture de la procédure de sauvegarde le 9 janvier 2020, les difficultés financières étaient établies depuis 2017 et persistaient sans avoir pu être surmontées. Les contrats ayant été dénoncés en décembre 2019, la société franchisée était confrontée à des problèmes juridiques insurmontables en lien avec le blocage décrit précédemment. »
Conclusion : « Au jour où elle a été ouverte, la procédure de sauvegarde était nécessaire pour faciliter la réorganisation de l’entreprise, afin de permettre la poursuite de l’activité économique, le maintien de l’emploi et l’apurement du passif. » (Selon les termes mêmes du Code de commerce).
Le jugement du tribunal de commerce d’Amiens du 24 novembre 2020 est donc confirmé. Et le groupe Carrefour débouté de sa demande d’annulation.
Plusieurs décisions similaires
De son côté, à la même date, la cour d’appel de Caen a rendu un arrêt comparable dans un litige du même ordre opposant un autre franchisé en procédure de sauvegarde au franchiseur.
Quant à la Cour de cassation, elle a rejeté par deux arrêts du 4 octobre 2023 le pourvoi formé par le groupe Carrefour et celui de ses filiales contre un arrêt semblable de la cour d’appel de Lyon dans un litige avec un autre franchisé du groupe.