Un franchiseur renouvelle pour cinq ans le contrat d’une franchisée mais ouvre, six mois plus tard, un point de vente à proximité du sien. Les juges réprouvent la « déloyauté » du responsable de réseau mais refusent d’annuler le contrat et n’accordent que très peu de dommages et intérêts à la plaignante.
Dans cette affaire examinée par la cour d’appel de Douai en mai 2022, le contrat de franchise est renouvelé début mars 2018.
D’une durée de 5 ans, le nouveau texte prévoit la possibilité pour la franchisée de le résilier à l’amiable à la fin de chaque période annuelle, à condition de respecter un préavis de 6 mois.
Par ailleurs, parce qu’il s’agit d’un renouvellement, il ne contient pas de clause de non-concurrence post-contractuelle. Il ouvre ainsi la possibilité à la franchisée de poursuivre la même activité sous une autre enseigne dans ses locaux à l’issue du contrat.
Des conditions d’une certaine souplesse, donc. Mais qui s’accompagnent d’une absence d’exclusivité territoriale.
S’estimant trompée, la franchisée réclame la nullité de son contrat de renouvellement
Les premiers mois se déroulent sans accroc. Mais en septembre 2018, la franchisée découvre que son franchiseur a ouvert un nouveau point de vente à l’enseigne dans le centre commercial distant de quelques kilomètres seulement de sa boutique.
Un magasin qui la concurrence et qui – explique-t-elle aux juges – entraîne pour elle à la fois des pertes importantes de chiffre d’affaires (jusqu’à 60 % en 2018) et la nécessité de vendre rapidement son fonds de commerce. Lequel perd progressivement de sa valeur, d’autant que son franchiseur ne veut pas qu’elle le cède avec l’enseigne de franchise. Or, à 62 ans, elle envisage de prendre sa retraite et compte sur cette vente pour contribuer à son financement.
En avril 2019, elle saisit la justice et réclame la nullité du contrat de renouvellement, assortie de dommages et intérêts.
A l’appui de sa démarche, elle affirme qu’elle n’a pas reçu de DIP et que, de toute manière, le document qui est produit par la partie adverse au procès ne laisse pas présager l’ouverture litigieuse. Elle estime donc que son consentement a été vicié.
Le franchiseur affirme avoir donné à sa partenaire une information précontractuelle sincère
Devant la cour d’appel, le franchiseur déclare avoir transmis un DIP le 20 décembre 2017, donc près d’un mois avant la signature du nouveau contrat.
Il explique également avoir donné à sa partenaire une information précontractuelle « dès avant l’ouverture des négociations pour le renouvellement du contrat de franchise ».
Ainsi dans un courrier d’avril 2017, il lui a annoncé qu’en cas de renouvellement du contrat, « les projets (de son enseigne dans la région) pourraient impacter l’exploitation » de sa franchisée.
Dans une autre lettre de juillet 2017, il l’a mise à nouveau en garde sur le même thème et lui a recommandé « de ne pas renouveler » son contrat et de limiter ses investissements.
Pour la cour d’appel de Douai, le franchiseur a fait preuve de déloyauté
Pour la cour d’appel toutefois, le franchiseur a manqué de loyauté. S’il démontre bien qu’il a transmis un DIP dans les délais légaux, les juges estiment qu’en janvier 2018, au moment de signer le contrat, il « savait qu’un magasin concurrent allait ouvrir de son fait dans le centre commercial (voisin) ».
Il savait que « cette modification radicale du marché local » interviendrait avant la fin de la première période annuelle du contrat, c’est-à-dire avant la possibilité pour la franchisée d’en sortir à l’amiable.
Or, il s’est abstenu d’informer sa partenaire de cette ouverture programmée « alors que rien ne lui permettait de penser légitimement qu’elle le savait par ailleurs ».
Pour la cour, il ne peut « pas être retenu qu’il incombait à la franchisée de se renseigner ». Le franchiseur « a manqué à son obligation d’information ». Il doit être sanctionné.
Pour les juges, le dol n’est pas prouvé pour autant. Le contrat n’a pas à être annulé
La cour refuse cependant de considérer qu’il y a eu dol (volonté de tromper) et qu’il faudrait en déduire la nullité du contrat.
Les juges relèvent que le franchiseur « qui en avait le droit » a annoncé « sans retard » à la franchisée « qu’il s’opposerait à la cession du fonds de commerce sous l’enseigne de la marque ». Pour la cour « rien ne prouve (donc) qu’elle n’aurait pas conclu son contrat de renouvellement si elle avait su qu’un magasin concurrent allait ouvrir. »
Par ailleurs, même si elle estime n’avoir pu céder que son droit au bail pour 20 000 € et avoir ainsi perdu 120 000 € sur la valeur de son affaire – sa clientèle ayant été récupérée par le nouveau point de vente – les juges considèrent qu’elle a pu quand même vendre un fonds de commerce.
Ils ajoutent que ses difficultés sont survenues du fait de la « décision du franchiseur de modifier sa politique de distribution en privilégiant le centre commercial voisin ». Une « décision licite », puisque le contrat ne prévoyait pas d’exclusivité territoriale pour la franchisée.
Pour les juges, il n’y a donc pas eu dol. Le contrat n’a pas à être annulé.
« Sans clause d’exclusivité territoriale, le franchiseur est libre de sa politique de distribution »
La cour insiste sur cet aspect du dossier : « En l’absence de clause d’exclusivité territoriale », indique l’arrêt, « le franchiseur est libre de sa politique de distribution. » Il « n’a commis aucun abus en offrant son renouvellement à sa franchisée ».
Et encore : « Il ne (pouvait) lui être imposé de sacrifier une implantation prometteuse telle celle dans le centre commercial, même par égard pour la préexistence du fonds d’une franchisée exposée à la concurrence de cette nouvelle implantation. »
La cour refuse à la franchisée plus de 170 000 € de dommages et intérêts
A propos des dommages et intérêts, la cour refuse d’accorder à la franchisée les 50 000 € qu’elle réclamait, correspondant à la perte de ses commissions sur le chiffre d’affaires des 36 mois du contrat restant à courir.
Les juges rappellent à ce sujet que « le préjudice résultant du manquement à une obligation précontractuelle d’information est constitué par la perte de la chance de ne pas contracter ou de contracter à des conditions plus avantageuses et non par les pertes subies ».
La cour rejette aussi la demande de compensation à hauteur de 120 000 € de la perte de valeur du fonds de commerce. En l’absence « d’abus de droit ».
Les magistrats acceptent en revanche le principe d’indemnisation de la franchisée, en compensation du préjudice moral qu’elle a subi du fait de la déloyauté du franchiseur. Mais ils ne lui accordent que 5 000 € sur les 10 000 réclamés.