Sanctionné en appel pour la persistance de pratiques restrictives de concurrence en matière d’approvisionnement et une clause intuitu personae du contrat Pizza Sprint jugée déséquilibrée, Domino’s Pizza s’était pourvu en cassation. En vain.
La plus haute juridiction française a rejeté, dans un arrêt du 28 février 2024, le pourvoi en cassation formé par Domino’s Pizza dans l’affaire Pizza Sprint.
Un conflit qui l’oppose depuis des années à plusieurs dizaines d’ex-franchisés de ce réseau racheté en 2016 et au Ministère de l’économie.
Devant la Cour de cassation, le géant de la pizza contestait plusieurs volets de l’arrêt du 5 janvier 2022 de la cour d’appel de Paris qui lui avait été défavorable.
Pratiques d’approvisionnement : la Cour de cassation confirme l’amende civile de 500 000 €
Le franchiseur reprochait entre autres aux magistrats d’appel de l’avoir condamné à une amende civile de 500 000 € pour certaines pratiques du réseau Pizza Sprint.
La Cour de cassation est très claire : pour elle « c’est à juste titre que la cour d’appel a condamné (la société Domino’s Pizza France) au paiement d’une amende civile » solidairement avec les sociétés qu’elle a rachetées à 100 %.
Puisque, comme l’arrêt d’appel le mentionne, elle « n’a pas cessé les pratiques litigieuses (du fondateur de Pizza Sprint) concernant l’approvisionnement exclusif et le stock minimum, constitutives d’un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ».
Selon la Cour, la clause intuitu personae du contrat Pizza Sprint était déséquilibrée
Domino’s Pizza reprochait également à l’arrêt de janvier 2022 d’avoir prononcé la nullité de la clause intuitu personae du contrat Pizza Sprint.
La clause en question imposait au franchisé d’informer le franchiseur de tout projet « ayant une incidence » sur la répartition du capital de la société franchisée, de son actionnariat ou de l’identité de ses dirigeants, au moins deux mois avant de réaliser l’opération.
Elle ouvrait au franchiseur ainsi informé la possibilité de résilier le contrat du franchisé de manière anticipée sans devoir lui verser d’indemnité. Alors que la réciproque n’était pas vraie.
Sur ce point aussi, la Cour de cassation rejette le pourvoi du franchiseur. Elle considère que la cour d’appel « a pu retenir » avec raison que cette clause « caractérisait un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ».
Pour les magistrats d’appel, il y avait déséquilibre notamment en raison de « l’imprécision » du terme « incidence ». Une imprécision qui, selon eux, ne permettait pas (au franchisé) d’appréhender ce qui, dans ses actes, serait « susceptible de motiver, de la part du franchiseur, la résiliation anticipée du contrat. »
La non-réciprocité des clauses intuitu personae n’est toutefois pas en cause
A lire l’arrêt du 28 février 2024 sur ce point, on comprend cependant que la décision de la Cour de cassation aurait été différente si la cour d’appel s’était « bornée à déduire l’existence d’un déséquilibre significatif du seul fait que la clause litigieuse ne prévoyait pas la réciprocité ».
En clair, pour la Cour de cassation la non-réciprocité d’une telle clause intuitu personae ne constitue pas en soi un déséquilibre significatif.
Un franchiseur peut parfaitement – au nom des intérêts du réseau – imposer son veto à ses franchisés, s’ils veulent vendre leur entreprise à un successeur qui ne lui convient pas ; tout en leur refusant le pouvoir de s’opposer à ce qu’il vende comme il l’entend sa propre affaire, c’est-à-dire en fait le réseau.
A ce propos, les franchiseurs et leurs avocats – qui s’étaient inquiétés, à la suite de cet arrêt d’appel du 5 janvier 2022, de la remise en cause possible de leurs clauses intuitu personae presque toutes non-réciproques – expriment aujourd’hui leur soulagement.
La clause du contrat Pizza Sprint est toutefois bel et bien retoquée.
Même survenue longtemps après les faits, l’action du ministre était recevable
La Cour de cassation contredit par ailleurs le groupe Domino’s Pizza qui contestait la recevabilité de l’action du ministre pour différents motifs.
Elle retient d’abord que « la conclusion d’une transaction entre des partenaires économiques (invoquée par le groupe franchiseur pour considérer les accords survenus dans le cadre du rachat de réseau comme définitifs) n’a pas pour effet de priver le ministre des pouvoirs qu’il tient de (…) l’article L.442-4 du code de commerce ».
Par ailleurs, contrairement au franchiseur qui considérait l’action du ministère comme prescrite lorsqu’elle a été déclenchée en 2017, la Cour explique qu’elle « ne fait pas l’objet de règles spéciales ».
Régie par l’article 2224 du code civil, la période pendant laquelle une telle action est possible s’étend donc sur cinq ans et « a pour point de départ le jour où (le ministre), qui est titulaire d’un droit à agir, a connu ou aurait dû connaître les faits qui, caractérisant une pratique restrictive, lui permettent d’exercer ce droit. »
Une décision de portée générale
En l’occurrence, l’enquête de la DGCCRF ayant débuté en 2013, Bercy aurait pu lancer sa procédure judiciaire jusqu’en 2018, même si les dysfonctionnements constatés étaient bien plus anciens. En 2017, il était donc dans son droit.
Cette précision de la Cour de cassation, de portée générale, fait dire à certains commentateurs comme Maître Yann Heyraud, docteur en droit, dans un article publié le 8 mars 2024 sur le site de Dalloz que « la période pendant laquelle le ministre peut agir pour sanctionner une pratique restrictive de concurrence est – considérablement – allongée (…). Certaines actions pourraient être diligentées plus de dix ans après les faits ».
En attendant d’éventuelles nouvelles interventions de Bercy dans d’autres réseaux, la procédure judiciaire concernant Pizza Sprint se termine sur une victoire partielle du Ministre et une victoire morale des ex-franchisés.
Reste que ce réseau régional qui avait atteint les 89 points de vente en 2015 a bel et bien été effacé, absorbé et digéré par le colosse anglo-saxon Domino’s Pizza qui n’a gardé ni l’enseigne ni le concept. Et ce, malgré l’opposition à l’opération de la moitié des franchisés concernés.