La cour d’appel de Rennes condamne un franchisé à 50 000 € de dommages et intérêts pour rupture anticipée et non justifiée de son contrat. Ni les multiples reproches adressés au franchiseur, ni les difficultés et les départs de nombreux franchisés du réseau n’ont suffi à convaincre les juges.
La cour d’appel de Rennes a condamné le 30 novembre 2023 un franchisé pour avoir résilié son contrat avant l’échéance prévue et sans motif valable.
Dans cette affaire, le contrat est signé en 2014. Mais les choses se passent mal. Et en décembre 2019, avec sept autres collègues, le franchisé adresse une lettre au franchiseur, exposant de très nombreux griefs. Les franchisés formulent également ensemble une proposition de rachat de l’enseigne.
Leur tentative de règlement amiable n’aboutit pas et en février 2020, le franchisé résilie son contrat de manière anticipée en même temps que ses sept confrères.
Estimant que le franchiseur a manqué gravement à ses obligations contractuelles, il l’assigne en justice, réclamant des dommages et intérêts.
En juillet 2021, toutefois, le tribunal de commerce de Rennes condamne la société franchisée pour rupture abusive. Ce dont elle fait appel.
En septembre 2022, elle est placée en liquidation judiciaire.
Représentée en appel par son liquidateur, elle invoque pour justifier sa résiliation du contrat « des manquements graves et répétés du franchiseur à ses obligations contractuelles, la rupture totale et définitive du lien de confiance du fait du franchiseur et son refus réitéré de rencontrer les franchisés lors d’une réunion aux fins de tenter de régler amiablement le litige. »
Sur tous ces points, la cour d’appel rejette les accusations de la société franchisée.
La décroissance du réseau ne prouve rien, selon les juges
Devant les juges, le franchisé dénonce notamment « le nombre anormalement élevé de sociétés franchisées placées en liquidation judiciaire, soit 20 depuis 2010, six autres ayant quitté le réseau pour exploiter une autre enseigne ». Précisons que l’entreprise, créée en 1999, a commencé son développement en franchise en 2007 et compterait à ce jour une vingtaine d’adresses.
« Le franchiseur ne peut pas, en soi, être tenu pour responsable de la santé financière de ses franchisés », répond la cour, pour qui le chiffre d’affaires des franchisés « continuait à se développer au cours des trois premiers trimestres de 2019. »
Le franchisé affirme également que le franchiseur, dont le réseau était en décroissance, « n’a pas entrepris les démarches et actions utiles pour améliorer son concept » et a ainsi affaibli la marque.
La cour répond que « le nombre décroissant de franchisés ne constitue pas une atteinte à une jouissance paisible de la marque (promise par contrat). Ce n’est pas non plus, en soi, la preuve (…) que le franchiseur ne ferait pas tout pour (la) promouvoir ».
Les magistrats notent en outre que le franchiseur a « présenté de nouveaux modèles » dont « rien ne prouve qu’ils n’auraient pas été suffisants » à adapter son offre aux évolutions du marché.
De multiples reproches écartés un à un par la cour d’appel
Le franchisé reproche encore à son partenaire de n’avoir envoyé que 20 notes par an au lieu de 80 entre 2014 et 2016. La cour retient que la société franchisée « ne démontre pas que ces notes aient été insuffisantes ou erronées ».
Selon le franchisé, le franchiseur « persiste à indiquer sur son site internet l’existence de plusieurs points de vente qui ne font plus partie du réseau ». Simple erreur ou retard de mise à jour, selon les juges, aux yeux de qui il n’est « pas prouvé que cette démarche soit volontaire ».
D’autres accusations portant sur les logiciels utilisés, l’insuffisance des effectifs au siège, de la formation et de l’assistance, l’inégalité des taux de redevance d’enseigne proposés aux franchisés, la baisse de la redevance communication, l’inadaptation du concept à une autre région que celle d’origine, de même que les craintes pour l’avenir exprimées par plusieurs franchisés et un membre de l’équipe de direction, ou encore la vente de l’entreprise franchiseur à un tiers sans l’accord des franchisés* sont balayées de la même manière par les magistrats.
Une perte de confiance dans le franchiseur sans justification, selon les magistrats, malgré une cessation de paiement et des poursuites pénales en cours
Le franchisé fait valoir par ailleurs qu’il a perdu confiance dans la société franchiseur quand cette dernière a été placée en cessation de paiement. Mais pour la cour, il « n’explique pas en quoi (celle-ci) aurait été dans l’incapacité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible. »
De plus, selon les juges, le franchisé peut difficilement reprocher au franchiseur ses difficultés de trésorerie « dans la mesure où il avait (alors) cessé de lui payer ses redevances depuis plusieurs mois ». Il lui devait de l’ordre de 12 000 € (35 000 pour l’ensemble des franchisés partants).
Autre raison de sa perte de confiance selon le franchisé : « les poursuites pénales engagées contre les dirigeants de la société franchiseur, (qui ont) porté atteinte à la réputation de la marque. »
Certes, des poursuites pénales ont été engagées envers deux dirigeants de la société franchiseur pour des faits commis précédemment à la tête d’autres sociétés et ces informations sont parues dans la presse, admet la cour, mais « aucune condamnation n’a été prononcée avant la rupture du contrat de franchise ».
En outre, la peine de 18 000 € d’amende (plus l’indemnisation des victimes) qui a été finalement prononcée en 2023 ne l’a pas été pour escroquerie mais pour abus de confiance. Et surtout, la cour souligne que si un article de presse s’en est fait l’écho, aucune allusion à l’enseigne du franchiseur n’a été mentionnée.
La cour considère enfin sur ce point qu’il est difficile pour les franchisés, dont le plaignant, de prétendre que la société franchiseur et sa marque aient été dévalorisées à leurs yeux, puisqu’ils se sont proposés de racheter cette dernière fin 2019 et début 2020.
« L’absence de recherche d’un accord n’est pas en soi fautive »
Dernier reproche formulé par le franchisé : le refus de la part du franchiseur de rencontrer les huit membres du réseau partants, afin de régler amiablement le conflit avec eux.
Certes, lorsque les franchisés ont proposé de racheter la marque, note la cour, les négociations qui ont eu lieu n’ont pas abouti. Toutefois, « il n’est pas établi que la société franchiseur aurait abusé de son droit de ne pas céder la marque, ni qu’elle ait rompu les pourparlers de façon brutale ».
Par ailleurs, la société franchisée « ne prouve pas qu’elle ait précisé », la concernant, « quels étaient les points nécessitant un règlement amiable du conflit. »
Pour la cour « il ne peut donc être retenu que c’est à la suite d’un litige ayant perduré malgré des demandes de règlement amiable que cette rupture est intervenue. »
Et elle ajoute : « Même s’il est préférable que des co-contractants essayent de s’entendre pour régler leurs désaccords éventuels, l’absence de recherche d’un accord n’est pas en soi fautive. »
« Un préjudice d’autant plus important qu’il s’est inscrit dans une action concertée » avec sept autres franchisés du réseau
Conclusion des magistrats : « les quelques manquements retenus, même pris dans leur ensemble, ne justifient pas une rupture du contrat ». La demande de dommages et intérêts de la société franchisée est donc rejetée.
La cour la condamne en outre « en raison de sa rupture anticipée et non justifiée de son contrat », à devoir régler à la société franchiseur près de 8 000 € de redevances impayées et 50 000 € de dommages et intérêts en compensation du préjudice subi. En l’occurrence, la « perte de chance de percevoir des redevances jusqu’à la fin du contrat ».
Un préjudice « d’autant plus important » pour la société franchiseur, selon la cour, « qu’il s’est inscrit dans une action concertée aboutissant à la résiliation simultanée des contrats (de) huit franchisés ».
Car pour les juges, « Le départ simultané et brutal des franchisés (…) a porté atteinte à la réputation de la société en tant que franchiseur auprès des entreprises susceptibles d’adhérer à ce réseau et auprès des clients et fournisseurs. » Raison pour laquelle, la cour inflige à la société franchisée… 1 000 € d’indemnité supplémentaire pour préjudice moral.
>Références de la décision :
-Cour d’appel de Rennes, 3e chambre commerciale, 30 novembre 2023, n° 21/04598
*Au sujet de la vente du réseau, la cour relève que le contrat comportait une clause dite de transmissibilité par laquelle le franchisé s’était engagé par avance à autoriser le franchiseur à céder sa société.