Après plus de vingt ans de contrats successifs, un franchisé ne disposant pas d’exclusivité territoriale apprend par un confrère qu’un autre établissement de la même enseigne va ouvrir sur sa ville. Accusant son franchiseur de déloyauté, il rompt son contrat six mois avant son échéance. Il est condamné en appel.
Certaines histoires de franchise finissent mal. Celle jugée par la cour d’appel de Paris le 17 janvier 2024 en est une.
Le premier contrat conclu par le franchisé avec l’enseigne remonte à 1996. Plusieurs renouvellements plus tard, il signe en 2015 une fois de plus pour 5 ans.
Mais en 2018, de son propre aveu, les résultats sont en baisse et surtout au cours de l’été 2019, il apprend par un confrère que l’enseigne dont il porte les couleurs depuis plus de 20 ans sur sa ville va rallier sous sa bannière au 1er octobre suivant un de ses concurrents en activité depuis 2013 à deux kilomètres de son établissement.
En cause selon le franchisé : l’obligation contractuelle de loyauté du franchiseur
Constatant que cet événement provoque le départ de deux de ses collaborateurs réalisant la moitié de son chiffre d’affaires, le franchisé proteste et demande à rencontrer son partenaire.
Estimant que celui-ci, qui ne l’a même pas prévenu, n’a pas respecté ses engagements contractuels de loyauté et de réussite commune, il résilie son contrat à la date du 31 décembre 2019, soit six mois avant l’échéance prévue.
Ayant réclamé en vain à son partenaire 150 000 € afin de l’indemniser pour la perte de chance de réaliser son chiffre d’affaires, il l’assigne en justice en juin 2020 afin d’obtenir réparation.
En février 2022, le tribunal de commerce d’Évry lui donne raison et condamne le franchiseur à lui verser 69 000 € de dommages et intérêts pour « non-respect de son obligation de loyauté contractuelle ».
Pour la cour d’appel de Paris, il ne faut pas confondre objectif commun et obligation…
Saisie par le franchiseur, la cour d’appel de Paris contredit ce jugement, écartant un à un les arguments du franchisé.
Certes, reconnaît celui-ci devant la cour, sa société ne bénéficiait pas d’une exclusivité territoriale. Mais le préambule du contrat de franchise précisait que son but était « d’assurer la performance optimale de chacune des entreprises contractantes ».
Or, le fait d’ouvrir un nouvel établissement franchisé à proximité du sien était à ses yeux une violation de cette obligation.
La cour écarte cet argument, expliquant que cet « objectif commun » défini au contrat n’avait pas le caractère d’une obligation.
Aux yeux des juges, il n’y a pas eu « rognage » du « marché naturel » du franchisé
Le franchisé insiste. Il explique que la décision du franchiseur était contradictoire avec sa propre politique qui consiste, sinon à concéder un territoire exclusif, du moins à confier à chaque franchisé un « marché naturel » d’une certaine taille, défini par des critères objectifs, afin de lui permettre de réussir. Ce qu’il n’a plus respecté en l’occurrence.
Mais pour la cour « rien n’étaye ce postulat » d’une « diminution de facto de l’aire naturelle » du franchisé, rien dans les pièces transmises au procès « ne prouve » qu’il y ait eu « rognage » de ses secteurs d’intervention.
Aux yeux des juges, le franchiseur était dans son droit lui qui, pour justifier sa décision d’affilier un nouveau partenaire, invoquait « l’indifférence du franchisé aux actions du réseau, son absence de suivi des formations », la faiblesse de ses résultats et, partant, celle du « taux de pénétration de l’enseigne » sur le marché local.
Selon la cour, les effets économiques de la nouvelle adhésion sont « indéterminables »
Et peu importe à la cour que le franchisé fasse un lien direct entre l’annonce de l’arrivée d’un nouvel affilié dans sa ville et le départ préjudiciable de ses collaborateurs. Car « leur constat date du 4 septembre, soit avant l’ouverture de l’établissement concurrent ».
Or, leur crainte de voir leurs prospections de clientèle en pâtir « ne repose sur aucun élément tangible. » Et « une inquiétude ne caractérise pas une atteinte effective »…
En outre, comme la société franchisée a rejoint une autre enseigne après la fin du contrat litigieux, « les effets économiques de la nouvelle adhésion sont indéterminables ».
La résiliation du contrat aux torts exclusifs du franchisé est prononcée
La cour écarte également le défaut d’information préalable reproché au franchiseur. Car « rien ne lui imposait d’informer le franchisé en l’absence de clause d’exclusivité ».
Il n’y a pas eu non plus de déloyauté selon la cour. Tout juste peut-on parler selon elle « d’une erreur d’appréciation » du franchiseur quant à son taux de pénétration réel sur le marché, mais celle-ci « est très insuffisante pour caractériser sa mauvaise foi ou sa déloyauté ».
En conséquence, le franchisé n’aurait pas dû résilier son contrat. Il n’avait pas de raison valable pour le faire. La cour d’appel prononce donc sa résiliation aux torts exclusifs du franchisé à la date du 31 décembre 2019.
Et elle annule la condamnation du franchiseur prononcée par le tribunal de commerce à 69 000 € de dommages et intérêts.
La nullité de la clause de non-affiliation post-contractuelle n’entraîne pas d’indemnisation du franchisé
Certes, la cour annule aussi, comme le demandait le franchisé, la clause de non-affiliation post-contractuelle qui lui interdisait de rejoindre un autre réseau pendant un an sur le territoire de son département.
Faisant référence à l’article L 341-2 du code de commerce, les juges rappellent que l’interdiction aurait dû être limitée aux locaux de la société franchisée.
Mais cela n’a aucune conséquence pour l’indemnisation du franchisé, contrairement à ce qu’il espérait, puisqu’il n’a pas respecté cette clause et qu’elle ne l’a pas empêché dans les faits de passer à la concurrence…
Le franchisé est condamné pour avoir « déchiré brutalement le maillage territorial de l’enseigne »
Résultat : les magistrats condamnent le franchisé à verser au franchiseur des indemnités de rupture au titre de la clause pénale prévue au contrat en cas de résiliation anticipée non justifiée. Indemnités qu’ils fixent à hauteur de 27 000 €, correspondant à une partie des redevances dues si le contrat s’était poursuivi jusqu’à son terme.
La cour d’appel de Paris estime en effet que le franchisé a « privé l’enseigne de redevances pendant sept mois » et « désorganisé le réseau en déchirant brutalement son maillage territorial dans la ville, même si ce dommage est à minorer du fait de l’adhésion » d’un nouvel établissement…