Comme le village d’Astérix face à César, un groupe de franchisés bretons résiste au géant américain de la pizza. 31 franchisés Pizza Sprint sur 60 refusent de changer d’enseigne.
Près de la moitié du réseau breton Pizza Sprint – racheté en janvier 2016 par Domino’s Pizza – ne veut pas se laisser avaler par le géant australo-américain(1).
Le 26 mai dernier, 31 franchisés Pizza Sprint (sur 60) représentant « 40 magasins sur 77 appartenant à des franchisés » ont déclenché une bataille judiciaire visant à obtenir l’annulation de leurs contrats.
Les franchisés, qui payaient entre 3,5 et 5 % de redevances à Pizza Sprint ne veulent pas verser 6,5% à Domino’s Pizza. De même, ils n’acceptent pas que la contribution pour la publicité de l’enseigne passe de 4 à 6 % (plus 4 % pour la publicité locale).
S’ils doivent renoncer au modèle Pizza Sprint dont la dimension régionale les a séduit, ils préfèrent garder leur magasin, sans appartenir à un quelconque réseau de franchise.
Un mécontentement déjà ancien des franchisés Pizza Sprint
Mais leur refus est plus profond encore. Leur grogne ne date d’ailleurs pas d’hier. Avant l’arrivée de Domino’s Pizza, ils reprochaient déjà à leur franchiseur de leur « imposer dans les faits une exclusivité quasi-totale d’approvisionnement » et de leur facturer la matière première « jusqu’à 30 % plus cher que le marché ».
Les reproches portaient aussi sur la formation et le fonctionnement du réseau :
- « Actions de formation limitées, séminaire annuel promis mais pas organisé »,
- « Pas de grand-messe, des commissions avec le franchiseur mais pas de discussions autorisées entre franchisés, etc. »
C’est pour toutes ces raisons que ces 31 franchisés, conseillés par Maître Philippe Le Goff (par ailleurs bâtonnier de Rennes), ont assigné le 26 mai la société Fra Ma Pizz (créatrice de Pizza Sprint), plaidant le « déséquilibre significatif » de plusieurs clauses du contrat(2).
Bras de fer judiciaire
Ce qui n’est pas sans rappeler les reproches listés par la DGCCRF (la Direction de la Concurrence) au terme de son enquête sur 12 enseignes de restauration (dont, selon nos informations, Pizza Sprint).
Si le calendrier judiciaire n’est pas fixé, on sait qu’il faudra attendre entre un an et un an et demi la décision du tribunal de commerce de Rennes. Pour le moment, celui-ci a pris contact avec les parties et « les franchisés se sont dit ouverts à une conciliation », indique Maître Le Goff.
Une conciliation à laquelle la direction de Domino’s Pizza se dit également favorable.
« J’ai vécu moi-même ce que vivent aujourd’hui ces franchisés, explique Andrew Rennie, PDG de Domino’s Pizza France. Je sais quelles sont leurs difficultés, je comprends leurs inquiétudes. C’est pourquoi je laisse la porte ouverte à une solution amiable. »
Domino’s Pizza « ouvert à une solution amiable »
Le dirigeant de Dominos’ Pizza déclare également s’engager à « respecter jusqu’au bout » les contrats des franchisés qui veulent rester sous enseigne Pizza Sprint. « Même si cela doit durer 9 ans dans certains cas ». Il affirme par ailleurs être en discussion avec 4 des 31 franchisés réticents et examiner la possibilité de racheter leurs magasins.
Selon lui, aujourd’hui, « 20 magasins Pizza Sprint ont déjà été transformés en Domino’s Pizza et affichent des taux de croissance de 25 % (du chiffre d’affaires). Soit 5 à 6 fois plus que le taux de croissance moyen de la restauration rapide en France ». Ce qui le rend optimiste sur sa capacité à entraîner les autres franchisés.
Des ex-Pizza Sprint satisfaits du changement
La satisfaction des ex-Pizza Sprint devenus Domino’s Pizza est confirmée par l’une d’entre eux, dont le magasin (dans une petite ville) a été transformé il y a un mois. Si l’Euro 2016 explique selon elle une partie de la (forte) hausse de son chiffre d’affaires, le changement d’enseigne a également joué. « Les pizzas sont meilleures, les clients nous le disent. Les précédentes étaient bonnes, mais maintenant nous travaillons à partir de pâte fraîche et ça change tout. Evidemment, comme tout est fait à la minute, cela exige plus de travail de fabrication, plus de personnel, plus de livreurs, plus de véhicules ».
Passée de 6 à 12 salariés, la franchisée « manque encore de recul » sur le résultat qu’elle peut atteindre. Mais « ne referait pas le chemin à l’envers ». Dans la mesure où l’enseigne Pizza Sprint « n’avait plus d’avenir après son rachat », elle n’imaginait pas « repartir à zéro en solo et devoir tout renégocier » (avec les fournisseurs, etc.). Ne souhaitant pas vendre son affaire, elle « ne se voyait pas non plus continuer sous enseigne Pizza Sprint alors que les autres allaient rejoindre le repreneur ».
« Ne parvenant plus à développer mon chiffre d’affaires, j’avais besoin de faire plus de communication et de proposer des produits à des prix plus attractifs ». Tentée d’emblée par le renouveau proposé, elle reconnaît avoir eu aussi des interrogations. Les dirigeants de Domino’s Pizza l’ont rassurée.
Des franchisés réticents sur le modèle Domino’s Pizza
Les réticences des non-ralliés demeurent toutefois très fortes.
« Certains franchisés Pizza Sprint qui ont rallié Domino’s Pizza ont bénéficié de facilités (sur les conditions financières ndlr) mais il leur a été précisé que cela resterait provisoire », indique-t-on de source franchisée.
Mais surtout l’envie de rallier Domino’s Pizza n’est pas au rendez-vous.
« Domino’s Pizza promet de nous permettre de doubler ou tripler nos chiffres d’affaires, indique un franchisé, mais ce qui est possible dans les grandes villes ne peut pas l’être dans des villes de 5000 habitants où sont implantés certains Pizza Sprint.«
Et le chiffre d’affaires n’est pas le seul objectif d’un entrepreneur. Encore faut-il qu’il soit suffisamment rentable. Or Domino’s Pizza « nous prend trop d’argent : 30 % pour la matière première, plus toutes les redevances : on arrive à près de la moitié du chiffre d’affaires. C’est trop ! ».
Des relations « mal parties » avec ceux qui restent Pizza Sprint
Quant aux relations entre ceux qui continuent de fait sous enseigne Pizza Sprint et leur nouveau franchiseur, elles ont mal commencé. Les franchisés estiment qu’ils sont « traités différemment des franchisés Domino’s Pizza ». Sans équipe de direction dédiée. Sans moyens marketing significatifs. Certains parlent même d’une situation « humiliante ».
Et, dans la mesure où Domino’s Pizza a clairement annoncé dès le départ sa volonté de faire, à terme, disparaître l’enseigne Pizza Sprint, ils sont plus inquiets qu’optimistes sur la suite des événements.
« Un succès » selon Domino’s Pizza
Dominos Pizza, qui comptait un peu plus de 250 magasins en France au moment d’absorber Pizza Sprint n’atteindra donc pas aussi vite qu’annoncé les 350 adresses.
Andrew Rennie affirme toutefois (en comptant les 12 magasins sur 89 qui appartenaient en propre au franchiseur de Pizza Sprint) qu’au final, au moins « 60 % du réseau racheté rejoindra Domino’s Pizza ». Ce qui, pour lui, constitue à l’évidence « un succès ».
(1)Depuis 2006, Domino’s Pizza France appartient au groupe australien Domino’s Pizza Enterprises Limited, masterfranchisé de l’enseigne américaine.
(2)Les franchisés ont assigné la société avec laquelle ils ont signé leurs contrats. S’ils gagnent leur procès, Domino’s Pizza, désormais propriétaire de Fra Ma Pizz, devra en assumer les conséquences.