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      E-commerce : où en sont les enseignes ?

      Dernière mise à jour le 7 juin 2021

      Un tiers des chaînes de franchise disposerait d’un site Internet marchand. Certaines exploitent ce canal avec un vrai succès, d’autres plus difficilement. Une question de secteur d’activité, de savoir-faire et de maturité.

      Les enseignes de franchise se sont, sans difficulté, mises au goût du Web ces dernières années. Toutes, à de très rares exceptions près, disposent aujourd’hui d’une vitrine sur le Net. Elles sont moins nombreuses, en revanche, à s’être lancées dans l’e-commerce.

      Sur 436 réseaux recensés par la Fédération française de la franchise en 2011, 143, soit un tiers seulement, exploitaient un site marchand, révèle ainsi une enquête de Rozenn Perrigot, maître de conférences à l’IAE de Rennes (Université de Rennes 1) et professeur affilié à l’ESC Rennes.

      C’est que la vente en ligne intimide les chaînes autant qu’elle les séduit. “S’y mettre, pourquoi pas, mais avec quel modèle ?” s’interroge-t-on parmi celles qui n’ont pas encore osé sauter le pas. Car l’e-commerce place les réseaux d’indépendants face à plusieurs problématiques : la construction pratique du site et la gestion logistique des commandes, notamment. Mais aussi le risque de concurrence avec le réseau physique existant et surtout l’épineuse question du partage du chiffre d’affaires réalisé sur la toile.

      “La mise en place d’un site transactionnel nécessite un vrai savoir-faire, à la fois technique et organisationnel. Le franchiseur doit acquérir ce savoir-faire avant de se lancer. Au risque, sinon, de mettre en péril et son image de marque et l’unité de son réseau”, confirme Rozenn Perrigot.

      L’universitaire a étudié dans le détail les profils des 143 chaînes dotées en 2011 d’un site marchand. Résultat: elles sont majoritairement issues du monde du retailing (par opposition à celui des services), mais aussi plus mixtes, plus grandes et plus âgées que leurs consœurs ne pratiquant pas la vente en ligne.

      Avec son équipe, elle a même pu dresser le portrait-robot de la franchise type exerçant dans l’e-commerce : elle a 17 ans d’existence, 116 unités au compteur et 40 % d’unités en propre. “Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les réseaux jeunes et novateurs ne sont donc pas les plus avancés dans le domaine, constate l’universitaire. Et pour cause puisqu’il faut, je le répète, des ressources significatives – techniques, humaines, financières – pour créer un site marchand efficace.”

      Des ressources mais aussi de la méthode, voire de la pédagogie. Le géant de la cosmétique Yves Rocher (près de 600 centres dans l’Hexagone, majoritairement en franchise ou location-gérance) n’en a pas manqué pour rallier les membres de son réseau à sa stratégie de commerce en ligne.

      “Nous avons commencé par démythifier le Web auprès de nos partenaires, en leur proposant de l’utiliser pour passer leurs commandes, suivre des formations, présenter leur magasin… Il fallait leur montrer qu’Internet était leur allié”, se souvient Cécile Gillois Lefort, directrice marketing magasins pour l’enseigne. L’expérience de la marque en matière de vente à distance a fait le reste !

      Son site Internet est aujourd’hui numéro 1 en matière de distribution de produits de beauté en France et génère 10 % du chiffre d’affaires total de la chaîne (401 millions d’euros en 2011). Apportant ainsi la preuve que réseau physique et e-commerce ne sont pas incompatibles et peuvent s’enrichir mutuellement.

      “Notre site est un vecteur de ventes, mais aussi de fidélisation, ajoute Cécile Gillois Lefort. Les clientes qui ne viennent qu’en magasin dépensent 60 euros en moyenne par an chez Yves Rocher ; celles qui fréquentent aussi notre site Web dépensent 110 euros, dont 80 en boutique. Donc cette position dominante sur le Net fait aussi progresser l’activité de nos partenaires.”  Un bel exemple de “maturité et de maîtrise de l’outil”, commente Rozenn Perrigot. “On en revient toujours à la même logique : le processus doit être gagnant-gagnant”, insiste la chercheuse.

      Ces répercussions positives peuvent prendre diverses formes. De la simple hausse de fréquentation du réseau physique grâce à la publicité réalisée en ligne, aux ventes additionnelles générées, par exemple, par l’envoi aux internautes de coupons de réduction valables uniquement en magasin. En passant par la récupération, via le Web, de précieuses données clients (profil, coordonnées…) qui seront ensuite transmises
      aux franchisés pour enrichir leurs campagnes marketing.

      “L’arrangement, quelle que soit sa forme, doit être correct vis-à-vis des franchisés. Leurs points de vente ne doivent pas, par exemple, servir de simples réceptacles à colis, sinon il est certain que la motivation n’y sera pas”, insiste Rozenn Perrigot.

      De nombreuses enseignes prévoient, en outre, le versement, à leurs partenaires, d’une commission sur le fruit de leurs ventes réalisées en ligne. Difficile, en revanche, d’en savoir plus sur les pourcentages appliqués. “Si une commande est passée sur notre site depuis la zone territoriale d’exclusivité de l’un de nos franchisés, nous lui versons une commission”, témoigne Michel Bourel, président fondateur de Cavavin (130 franchises en France).

      Spécialisée dans le conseil et la vente de vins, un secteur dans lequel l’e-commerce représente déjà 5 % du marché, Cavavin a opté pour une stratégie originale sur le Web : n’y vendre que des produits “cadeaux” (champagnes, spiritueux, coffrets, accessoires…). “Il s’agit de toucher une clientèle différente de celle de nos boutiques et d’élargir ainsi notre cible”, explique le dirigeant de la marque. Il admet toutefois une autre raison à ce choix : “éviter les comparaisons de prix avec les magasins”.

      C’est là l’un des aspects sensibles du e-commerce en franchise. Le droit, rappelons-le, interdit à une tête de réseau d’imposer à ses adhérents un prix de revente de leurs produits, même s’il valide l’interdiction de dépasser un certain montant. “Or, dès lors que le franchiseur affiche des tarifs sur son site marchand, ses franchisés peuvent-ils vraiment continuer d’en pratiquer des différents ?” s’interroge Rozenn Perrigot. Cavavin  a trouvé le moyen de contourner cet écueil en proposant une gamme de produits spécifiques sur le Web.

      Marielle Planel, directrice de l’enseigne Literieland (une trentaine de points de vente, dont un tiers en franchise) avoue, en revanche, n’avoir pas encore trouvé la solution au problème. Dans le secteur de la vente de sommiers et matelas, comme dans le meuble en général, certains franchisés, explique-t-elle, travaillent encore à la remise. “Alors forcément, voir affichés sur notre site les prix nets des produits qu’ils proposent aussi dans leurs magasins les gêne un peu.”

      Chez Literieland, cette problématique a des conséquences limitées : dans un domaine comme la literie où les clients peuvent difficilement se passer d’essayer avant d’acheter, la vente en ligne ne représente que 0,1 % du chiffre d’affaires de l’enseigne (14 millions d’euros en 2011). Pour autant, la transparence des prix reste un point délicat à gérer par les franchiseurs et nécessite une concertation poussée dans les réseaux.

      Pour les chaînes qui ont su mener à bien la réflexion et mettre en œuvre les modèles multicanal adaptés, l’e-commerce peut s’avérer un outil formidable de notoriété, de fidélisation, voire d’accélération des ventes. “Nous sommes persuadés aujourd’hui que notre position avancée sur le Net nous a permis de gagner de nouvelles parts de marché et de faire progresser l’activité de nos partenaires”, assure ainsi Cécile Gillois Lefort, chez Yves Rocher.

      Elle a par ailleurs évité au réseau de voir émerger la tentation, chez ses franchisées, de créer de manière isolée leurs propres sites transactionnels. Un phénomène marginal – il ne concernait, en 2011, que 8 % des chaînes étudiées –, mais qui peut générer de sérieux problèmes aux enseignes qui y sont confrontées, notamment en termes d’homogénéité de leur image.

      “D’après la réglementation européenne, un franchiseur ne peut pas légalement interdire à l’un de ses franchisés de vendre en ligne, rappelle Rozenn Perrigot. Aussi, pour garantir l’uniformité de leurs réseaux, les chaînes ont-elles tout intérêt à formaliser leur savoir-faire en matière d’e-commerce, à l’intégrer à leur bible et à en prévoir l’application dans leurs contrats.”