La multi-franchise est un réel levier pour le franchiseur tout en étant un vecteur de performance pour le franchisé : un partenariat gagnant-gagnant si toutefois quelques précautions sont prises.
La multi-franchise est un phénomène qui tend incontestablement à se développer au sein des réseaux. Selon notre enquête sur le profil des franchisés, il apparaît que sur 447 enseignes, 351 recherchent des candidats prêts à ouvrir une ou plusieurs unités tandis que 32 ne recrutent que des multi-franchisés potentiels. Leur nombre atteint un peu plus de 20 % de l’ensemble des franchisés d’un réseau, avec une moyenne de 3,5 magasins par multi-franchisé. Ce taux s’élève à 40 % en moyenne dans la restauration rapide, secteur au sein duquel certains partenaires peuvent posséder plus d’une dizaine de points de vente.
Le pourcentage de multi-franchisés au sein d’une chaîne progresse avec la taille et la maturité de cette dernière. Ces données ressortent de l’étude dirigée par Jacques Boulay, professeur à l’ESSCA pour la Fédération française de la franchise (FFF), réalisée en 2011 auprès de 357 réseaux. Autre élément indiquant l’appétence pour ce type d’organisation, toujours d’après la FFF : 26 % des franchisés interrogés en 2011 souhaitaient ouvrir ou reprendre une seconde boutique au sein de leur réseau actuel.
A titre d’exemple, près de la moitié des partenaires Easy Cash sont des multi-franchisés. La majorité de ces derniers sont à la tête de 2 ou 3 magasins. “Nous avons la chance d’être sur un secteur porteur. Ce sont les franchisés eux-mêmes qui souhaitent se développer. Nous, en tant que franchiseurs, nous les encourageons. Il est vrai qu’ils ont la capacité financière de réinvestir”, précise Jérôme Taufflieb, président de l’enseigne d’achat-vente.
L’un des objectifs premiers recherchés par le multi-franchisé est de bénéficier d’une rentabilité accrue et d’une marge améliorée. Il s’avère que le chiffre d’affaires et la rentabilité par point de vente sont plus élevés chez les multi-franchisés que chez les franchisés ne possédant qu’une seule adresse. Jusqu’à deux ou trois unités, les franchisés “performent” davantage qu’avec une seule.
Mais à partir de quatre, la performance décline. Pourquoi cette décroissance au-dessus d’un certain nombre de sites ? “L’une des explications réside dans la dispersion de l’attention du multi-franchisé, confronté au risque d’un manque de motivation de ses salariés qui ont été placés à la tête des différentes boutiques”, estime Jacques Boulay. S’il se trouve à la tête de quatre magasins ou plus, le franchisé ne pourra être que peu présent physiquement au sein de chacun d’eux, et en conséquence les points de vente seront moins dynamisés. Bref, “big is beautiful” – mais sans excès.
Les meilleurs résultats en multi-franchise s’expliquent, pour partie, par les économies d’échelle générées par une telle organisation. “Un multi-franchisé pourra obtenir des remises quantitatives auprès de ses fournisseurs, que ce soit son franchiseur ou d’autres. Il va également pouvoir optimiser la gestion de ses stocks en ayant la possibilité de transférer, le cas échéant, une partie du stock d’un point de vente à un autre”, souligne Jean-Michel Illien, consultant et fondateur du cabinet Franchise Management. Il sera aussi à même de réaliser des économies d’échelle sur des services de back office comme la comptabilité. Posséder plusieurs sites va, par ailleurs, permettre au multi-franchisé de mieux motiver ses collaborateurs : ces derniers auront davantage de perspectives d’évolution.
D’autres avantages sont pointés par les professionnels de la franchise: “Le multi-franchisé possédera une maîtrise accrue du concept et pourra entretenir une relation plus forte avec la tête de réseau”, estime Laurent Delafontaine, consultant chez Axe Réseaux. De plus, la multi-franchise constitue un cadre facilitant indéniablement la recherche de financements bancaires. D’une part, le candidat au rachat ou à la création d’unités supplémentaires bénéficiera a priori d’un apport suffisant, fruit de son travail à la tête de sa première boutique. D’autre part, l’établissement bancaire s’engagera auprès d’un entrepreneur dont il connaît les résultats et ne s’appuiera pas uniquement sur un business plan.
Enfin, la banque pourra mutualiser le risque sur l’ensemble des sites du franchisé ; un élément particulièrement important alors qu’aujourd’hui les prêteurs réduisent au maximum leur prise de risque. “Dans certains secteurs, le ticket d’entrée est tellement élevé que le franchiseur préfère un candidat qui possède une bonne capacité financière, ce qui est souvent le cas des franchisés déjà en place”, note Jacques Boulay.
La multi-franchise apparaît comme une activité spécifique, sur plusieurs plans bien différente de la franchise plus classique que l’on pourrait qualifier de “mono-franchise”. Elle requiert en conséquence des qualités particulières. Laurent Delafontaine explique qu’un élément essentiel réside dans la manière dont le franchisé va opérer la délégation : “C’est notamment à ce niveau que l’on peut distinguer le commerçant du véritable chef d’entreprise. Le commerçant, qui peut être un très bon professionnel dans son secteur, ne saura pas forcément bien déléguer, à l’inverse du chef d’entreprise”.
L’entrepreneur qui opte pour la multi-franchise devra par ailleurs faire preuve de solides compétences en management et gestion, comme tout dirigeant tenant les rênes d’une PME d’une certaine taille. Car son travail et son environnement vont changer : “Le franchisé se retrouvera à la tête d’une équipe plus importante et, en conséquence, il aura moins de contacts avec chacun de ses salariés. Il court également le risque d’avoir moins de relations avec sa clientèle et de perdre ainsi en proximité. A titre d’exemple, dans le prêt-à-porter, il risque de commander une collection qui ne colle pas vraiment avec les désirs de sa clientèle”, prévient Laurent Delafontaine.
Au vu de la pratique de la quasi-totalité des multi-franchisés, il apparaît que l’une des conditions du succès est que les points de vente soient regroupés au sein d’une même zone géographique. Le temps de trajet entre le domicile du franchisé et son magasin le plus éloigné ne doit pas dépasser 1 heure 30. “Des unités proches permettent aussi de faire facilement passer un salarié d’un site à l’autre”, remarque Jacques Boulay.
Le passage de mono à multi-franchisé n’est pas toujours aisé. Certains exploitants peuvent mal appréhender les particularités de ce nouveau statut et le risque d’échec ne doit pas être ignoré. “Un franchisé qui a réussi sur un point de vente ne va pas forcément connaître le même succès avec deux boutiques. Cela requiert une autre organisation. Il peut se retrouver avec deux magasins qui marchent mal. Ouvrir une seconde unité constitue toujours un risque pour le franchisé”, souligne Jérôme Taufflieb, président d’Easy Cash. “J’ai malheureusement déjà pu voir des franchisés couler leurs deux adresses, alors qu’ils étaient performants lorsqu’ils se trouvaient à la tête d’un site unique”, confirme Jean-Michel Illien.
Heureusement, le franchisé ne sera pas le seul à juger s’il possède le bon profil ou non pour prendre la tête d’autres points de vente au sein de son réseau. Le franchiseur a son mot à dire. On peut ainsi considérer que ce dernier va remplir un utile rôle de filtre, voire de véritable garde-fou. “Lorsque j’occupais les fonctions de directeur du réseau Del Arte, je savais parfaitement qui des 80 franchisés du réseau avait la capacité de déléguer et de rendre autonome un chef de poste, des qualités indispensables au multi-franchisé”, poursuit Laurent Delafontaine.
Le franchiseur aura la responsabilité d’accepter ou non que l’un de ses partenaires devienne multi-franchisé. “Easy Cash a mis en place une procédure d’agrément qui se termine, dans certains cas, par un refus. Le franchisé peut manquer de fonds propres ou ne pas compter parmi ses salariés l’homme adéquat qui pourra être placé à la tête de la nouvelle unité”, précise Jérôme Taufflieb.
Pour le franchiseur, il est plus confortable et rassurant de s’appuyer sur l’un de ses franchisés qu’il connaît bien pour poursuivre le développement de son réseau que sur un nouvel entrant. “Il apparaît que les multi-franchisés respectent davantage les directives des franchiseurs et appliquent scrupuleusement le concept”, assure Jacques Boulay. Explication : c’est le multi-franchisé qui place des salariés à la tête de ses différents magasins, donc ces derniers ne vont pas prendre de liberté quant à l’application des process et consignes du franchiseur. Le niveau d’uniformité du réseau est ainsi plus élevé dans les enseignes qui recourent à la multi-franchise. De même, il apparaît que la croissance de la chaîne est d’autant plus rapide que le taux de multi-franchisés est élevé.
La multi-franchise recèle d’autres atouts pour la tête de réseau. “Pour le franchiseur, il existe un indéniable avantage commercial. Il pourra arguer du fait que si certains de ses franchisés ouvrent plusieurs points de vente, c’est la preuve qu’ils se sentent bien au sein de ce réseau”, reprend Jean-Michel Illien.
Si le franchiseur profite de différents avantages inhérents à ce système, il devra toutefois être bien conscient de certaines difficultés potentielles, en particulier liées au poids et à l’influence que pourront prendre un ou plusieurs multi-franchisés. “Le risque pour le franchiseur, en particulier au sein d’une chaîne d’une taille modeste ou moyenne, est d’avoir un franchisé qui devienne un “Etat dans l’Etat” et demande des traitements de faveur. Il y a alors une menace de tensions avec d’autres franchisés et au final cela peut déstabiliser un réseau. Une jeune enseigne qui démarre a plutôt intérêt à n’avoir que des mono-franchisés”, explique Jean-Michel Illien.
Si ces risques sont réels, ils apparaissent toutefois maîtrisables par le franchiseur qui a la faculté de brider le développement de ses franchisés en termes de nombre d’unités.
Finalement, et si chacune des deux parties s’entoure d’un certains nombre de précautions, la multi-franchise s’apparente à un partenariat “gagnant-gagnant”. Dans les années qui viennent, certains experts comme Jacques Boulay estiment que le taux moyen de multi-franchisés pourrait s’accroître. En effet, nombre de candidats à la franchise sont aujourd’hui des cadres supérieurs en reconversion : ces derniers exigent souvent de leur tête de réseau de pouvoir posséder à terme plusieurs magasins.