La crise sanitaire a changé la donne en matière de contrat de franchise. Toutes les clauses demeurent importantes mais certaines nécessitent d’être adaptées aux circonstances. Deux avocats spécialisés vous conseillent.
« Trop de candidats à la franchise signent leur contrat sans même l’avoir lu », déplore Maître Florian de Saint-Pol. L’expert – qui conseille de nombreux franchisés (Subway entre autres) – le regrette vivement : « Déjà, en temps ordinaire, ils devraient le faire examiner par un avocat spécialisé avant de s’engager. C’est encore plus vrai aujourd’hui. »
Le contrat règle en effet les relations avec le franchiseur pendant toute la durée du partenariat et même après son terme. Et c’est aussi ce texte qui sera pris en référence par les juges en cas de litige. Toutes les clauses y ont leur importance, mais en temps de crise, certaines méritent encore plus que d’autres l’attention des signataires.
« A la demande de nos clients franchiseurs, nous sommes intervenus sur les contrats autour des questions du e-commerce, du cross canal et du click & collect, indique de son côté Maître Cécile Peskine, du cabinet Linkea. Et à notre initiative, nous les avons incités à renforcer leurs engagements en matière de formation et d’assistance. »
Les clauses financières (droit d’entrée, redevances), celles qui concernent l’approvisionnement exclusif et l’assistance à distance ou encore les contentieux internes, entre franchisés ou avec le franchiseur méritent aussi une réflexion en cette période difficile pour tous.
Sur tous ces points, les deux praticiens ne défendent pas toujours les mêmes intérêts (même si Maître de Saint-Pol accompagne aussi des dirigeants de jeunes réseaux). Mais, parce qu’ils font preuve de pragmatisme, leurs analyses et leurs conseils ne sont pas si opposés.
Droit d’entrée et redevances : que peut-on négocier ?
Que prévoit le contrat en matière de droit d’entrée ? Peut-on le récupérer si le projet ne se concrétise pas ? Doit-on payer des redevances même si l’activité doit s’interrompre, par exemple pour des raisons sanitaires ?
Le confinement du printemps 2020 a causé des problèmes à de nombreux franchisés en matière de paiement des redevances et c’est toujours le cas pour les activités frappées de fermeture. La question se pose aussi, pour les candidats à la franchise, notamment en termes de droit d’entrée.
« Il faut regarder de près ce que prévoit le contrat en la matière », avertit Maître Cécile Peskine (cabinet Linkea) : « Pourrai-je le récupérer si je ne trouve pas de local ou si la formation n’a pas eu lieu. Est-il payable de manière fractionnée ? »
La spécialiste, qui accompagne exclusivement des dirigeants de réseaux, estime qu’il n’y a pas de souci en revanche en matière de redevances si celles-ci sont calculées en pourcentage du chiffre d’affaires. « S’il n’y a pas de CA, il n’y aura pas de redevances ».
« Il faut essayer d’obtenir des clauses précisant que, sans activité du franchisé, il n’y a pas de redevance à payer ».
Maître Florian de Saint-Pol, avocat spécialisé.
Le problème est différent si le contrat prévoit un montant forfaitaire avec un minimum garanti. « Le franchisé devra l’anticiper car face à la crise, le franchiseur continue de lui apporter un véritable appui même si le point de vente est fermé. Peut-être pourra-t-il envisager une négociation portant par exemple sur l’exonération d’une partie de ce minimum ? »
« Il faut essayer d’obtenir des clauses précisant que, sans activité du franchisé, il n’y a pas de redevance à payer », avance pour sa part Florian de Saint-Pol, qui ajoute : « L’autre vrai problème ce sont les objectifs de performance. Justifiés en temps ordinaire – car il est normal que le franchiseur veille à ce que le franchisé exploite convenablement le concept – ils ne le sont plus en temps de crise. »
Approvisionnement exclusif : ce qui doit être précisé
Que prévoit le contrat en cas de rupture de livraison ? La question est essentielle dans la plupart des secteurs de la franchise et ne saurait être ignorée par le contrat.
Beaucoup de contrats de franchise concernent des activités qui impliquent un recours imposé à des fournisseurs et à une logistique. Une dépendance et une organisation qui peuvent, en cas de pandémie, constituer de vrais points de fragilité.
Sans surprise, les deux experts du droit de la franchise s’accordent pour encourager plus que jamais les candidats à la vigilance à propos des clauses d’approvisionnement. « Que fait-on lorsque les produits sont en rupture de livraison par exemple et que l’on est tenu par une clause d’exclusivité ? », interroge Maître Florian de Saint-Pol.
« Il faudra prévoir plus de souplesse dans la mise en œuvre et permettre au franchisé, en cas de rupture, de s’approvisionner à des conditions de qualité égales, auprès d’autres fournisseurs », recommande le spécialiste qui conseille les franchisés mais aussi des dirigeants de jeunes réseaux.
« Ces clauses sont souvent très légères dans les contrats, confirme Cécile Peskine. Or, il faudrait préciser :
-doit-on tout acheter chez les fournisseurs de l’enseigne ou peut-on se limiter à certains produits (et à quelle hauteur) ?
-comment sont définis les critères de qualité des marchandises substituables,
-quel est le barème tarifaire, comment peut-il évoluer,
-comment s’applique le correctif de l’inflation,
-quel est le sort des remises de fin d’année des fournisseurs, le rôle exact de la centrale de référencement s’il y en a une, etc. »
Autant de points à vérifier lors de l’analyse du contrat.
Assistance du franchiseur : ce qui doit être prévu
Essentielle en franchise, l’assistance de la tête de réseau doit parfois emprunter des voies inédites. Les experts sont clairs sur le sujet : tout ne peut pas être réglé à distance. Ni forcément prévu par le contrat.
En matière d’assistance du franchiseur, les avis des deux avocats sont proches. L’assistance est essentielle en franchise. En période de crise, le franchiseur doit trouver les moyens de la poursuivre, voire de la renforcer. « Il faut sans doute prévoir son renforcement en période de crise, avec le remplacement des visites physiques par des visites « virtuelles » du point de vente », relève ainsi Maître de Saint-Pol.
Cécile Peskine estime elle aussi que la formation et les visites à distance ont montré leur utilité. Mais elle avertit : « il ne faudrait pas que le dirigeant du réseau soit tenté de pérenniser ces pratiques et de ce fait de se décharger de ses obligations. Car rien ne remplace l’audit en présentiel d’un animateur terrain. »
« L’assistance à distance ? Oui, quand il le faut. Mais rien ne remplace l’audit en présentiel d’un animateur terrain ».
Maître Cécile Peskine, avocat, cabinet Linkea.
Tout ne doit pas pour autant être prévu dans le moindre détail par le contrat, selon nos deux spécialistes. « L’assistance de l’enseigne doit évoluer avec les circonstances, remarque Florian de Saint-Pol. Et tout doit suivre : la logistique, le réassort, la communication en ligne. Le franchiseur doit être capable de répondre aux situations nouvelles. Toutefois, il n’a pas à préciser les choses davantage qu’avant dans son contrat. »
« Anticiper l’exceptionnel contractuellement n’est pas évident, approuve Cécile Peskine. Et il n’est pas nécessaire de le faire. Il existe maintenant suffisamment de jurisprudence sur le sujet et le devoir d’assistance du franchiseur est suffisamment admis par les tribunaux comme indispensable à la franchise ».
Et Maître de Saint-Pol met les points sur les « i » : « Les contrats de type anglo-saxon de soixante-dix pages qui prévoient tout dans le moindre détail peuvent être jetés à la poubelle, lance-t-il un brin provocateur. Certes, le franchisé qui le signe peut savoir exactement à quoi il doit s’attendre. Mais une fois que les engagements sont remplis, les franchiseurs s’en lavent les mains. Cela fonctionne quand il n’y a pas d’imprévu. Or il y en a tous les jours !»
Click & collect : des clauses délicates
La technique a pris une importance nouvelle. Attention toutefois au taux de commissionnement des intermédiaires, préviennent les deux avocats. Et à la manière dont sont calculées les redevances sur le chiffre d’affaires réalisé par ce moyen.
La question des ventes sur Internet qui a pris, avec le click & collect, de nouvelles dimensions doit aussi alerter les futurs signataires de contrat.
« Beaucoup de franchises utilisent les services d’un agrégateur type Uber Eats ou Deliveroo : il faut faire attention au taux de commission prélevé par ces plateformes. Veiller à ce qu’il ne soit pas trop élevé (30 % souvent). Voir dans quelle mesure le contrat laisse le franchisé libre de s’en passer. On peut aussi exiger de son franchiseur qu’il développe son propre service de click & collect, car augmenter ses prix de vente pour s’en sortir n’est pas toujours évident », énumère l’avocate Cécile Peskine.
Maître Florian de Saint-Pol soulève un autre aspect du problème : le fait que le franchiseur prélève ses redevances sur la totalité du chiffre d’affaires réalisé par le franchisé, y compris les commissions qu’il doit à ces plateformes. L’avocat suggère donc d’inscrire dans le contrat l’exemption de redevances pour cette partie du chiffre d’affaires. Même s’il reconnaît que la mise en pratique « risque d’être compliquée ».
« Il faut regarder de près ce que prévoit le contrat si le réseau utilise les services de plateformes tierces pour le click & collect ».
Maître Cécile Peskine.
Quant au partage des fruits des ventes en ligne « on peut prévoir que si les points de vente franchisés sont fermés, le franchiseur rétrocède une partie du chiffre provenant des ventes réalisées sur le site de l’enseigne », avance l’expert. Même si, là encore, il concède que cela peut s’avérer délicat à mettre en place. « De toute façon, il faut qu’une formule soit prévue dans le contrat. »
« La défiance sur le non-partage des fruits du e-commerce n’est vraiment plus d’actualité, estime pour sa part Cécile Peskine. C’était un vrai sujet il y a dix ans. Aujourd’hui, les dirigeants ont tous une stratégie cross-canal qui prévoit soit un commissionnement du franchisé quand la vente a lieu à partir de son territoire, soit un commissionnement du franchiseur quand le franchisé livre le produit vendu à partir de son stock et encaisse la vente ». A vérifier au cas par cas.
Clauses relatives aux contentieux : plus sensibles que jamais
Les avocats attirent l’attention des acteurs de la franchise sur les contentieux qui peuvent surgir par temps de crise à l’intérieur des réseaux. La manière dont les choses sont prévues dans le contrat est significative.
En temps de crise, tout n’est pas forcément rose dans les réseaux. « Les relations sont plus tendues en cette période nerveusement éprouvante pour tout le monde, observe Maître de Saint-Pol.
Un franchisé qui ne va pas bien peut être tenté d’aller chasser (via Internet entre autres) sur les terres de ses collègues, etc. Les choses se passent mieux s’il existe une instance de dialogue, association ou autre. Or il n’en existe pas assez », regrette l’avocat qui préconise de « bétonner les clauses de règlement et de conciliation préalable des conflits entre franchisés ».
« Dans le contrat, on peut également prévoir, poursuit-il, que si tous les points de vente sont contraints de fermer, il y ait une concertation où le franchiseur propose ses solutions et où les franchisés donnent leur avis. Eux aussi peuvent avoir de bonnes idées… »
« Il faut bétonner les clauses de règlement et de conciliation préalable des conflits entre franchisés ». Maître Florian de Saint-Pol.
Une structure de dialogue ? Oui, admet Cécile Peskine. Mais plutôt de type commission mixte (sur les achats, internet, le marketing, etc.) « Car quand une association de franchisés apparaît, c’est souvent pour en découdre. On est déjà dans le conflit, plus dans le dialogue. »
Membre du collège des experts de la FFF, l’avocate recommande aussi de « surveiller les clauses relatives aux différends et aux contentieux (entre franchisé et franchiseur cette fois) : si le contrat prévoit un arbitrage à New-York par exemple, mieux vaut l’éviter ». En revanche, « il peut être intéressant pour un franchisé de bénéficier d’une clause de médiation préalable renvoyant à des structures comme celle qu’a mise en place la FFF. Mais nous transigeons également beaucoup auprès des tribunaux de commerce dont les juges sont de mieux en mieux formés à la franchise. »