La franchise tente de nombreux réseaux jusqu’ici purement succursalistes. Plusieurs conditions doivent être réunies cependant pour que l’alliance de ces deux formules se révèle un succès.
C’est une tendance qui se confirme. Chaque année en France, de grandes enseignes jusque-là purement succursalistes (c’est à dire propriétaire de tous leurs magasins), s’ouvrent à la franchise (ou à la commission-affiliation). Parmi les plus récentes : Picard, Starbucks, Darty, Habitat, et bien d’autres.
Parfois en difficulté lorsqu’elles décident cette ouverture stratégique, ces chaînes de grande taille et/ou notoriété souhaitent s’implanter, sur des formats réduits, dans des villes de moins de 100 000, voire moins de 10 000 habitants, avec des commerçants installés « fins connaisseurs » de leur marché local. Là où une succursale ne serait pas rentable en raison du poids de la masse salariale nécessaire. Mais où un franchisé qui s’investit personnellement pourra, lui, y parvenir.
Moins connues, d’autres enseignes leur emboitent le pas comme Mondial Tissus ou Kusmi Tea en 2015, par exemple.
Ces choix sont-ils pour autant pertinents ? A quelles conditions ces projets peuvent-ils réussir ? Le succès est possible en tout cas, comme l’illustre l’exemple de Darty.
En 18 mois, de mars 2014 à septembre 2015, Darty est ainsi passé de 225 à 265 magasins en France avec l’ouverture de 40 unités franchisées, essentiellement par ralliement de commerçants et d’ex-adhérents de réseaux concurrents comme Digital, Connexion, Expert, Gitem, Pro & Cie.
Dans un secteur de l’électroménager bousculé par Internet qui a perdu « presque la moitié de ses points de vente en 5 ans » (selon Frédéric Loquin, directeur de la franchise Darty), l’effet notoriété a joué à plein. Mais pas seulement.
Exprimé jusqu’ici sur des surfaces de 1 200 à 1 500 m², le concept a été repensé pour 600 m² en moyenne, avec accès des vendeurs au site Internet marchand de l’enseigne grâce à des tablettes. De même, « un pôle franchise de 16 personnes » rassemble au siège les compétences nécessaires pour accompagner les franchisés.
A l’évidence, une bonne définition de sa cible (en termes de recrutement), une bonne évaluation de son potentiel (en termes de ralliements) et une bonne adaptation de son concept (à des surfaces plus petites) constituent trois conditions importantes de la réussite pour une tête de réseau succursaliste qui s’ouvre à la franchise.
Faut-il pour autant aller jusqu’à la mise au point d’un établissement pilote pour un test grandeur nature ? « Pas forcément », répond l’avocat Olivier Deschamps (cabinet Linkea). « Si vous ne disposez encore que d’un développement local et d’une notoriété régionale, oui, c’est nécessaire. Mais si vous êtes Darty ou La Fnac, c’est inutile, à condition de ne pas chambouler le concept, évidemment ».
« Il faudra tout de même réitérer un succès, il faut donc qu’il y en ait déjà un », rappelle René Prévost, directeur général de la franchise chez Speedy (485 centres dont 207 en franchise) et par ailleurs président de la Fédération française de la franchise. Dans le cas contraire, si c’est le modèle succursaliste qui n’est plus efficient, mieux vaut faire un test avec deux ou trois franchisés pour voir. »
« Il faut que le magasin à dupliquer soit parfaitement modélisé », précise pour sa part Christian Bédrune, directeur de la franchise Grand Optical après avoir été celui de Générale d’Optique de 2007 à 2012 (deux enseignes du groupe GrandVision qui compte au total près de 300 franchisés sur 750 points de vente). « Mais surtout, il faut créer la franchise avec quelqu’un du sérail : un directeur de magasin par exemple, qui connaisse bien l’enseigne et sa politique commerciale, afin de démarrer en ligne avec le réseau succursaliste. La formation sera plus simple et le lancement plus rapide car ce partenaire sera plus facile à convaincre. »
Ce recrutement en interne constitue d’ailleurs une piste de plus en plus utilisée pour le développement en franchise. Chez Générale d’Optique, 40 % des franchisés ont commencé comme directeurs de succursales. Le cas est aussi de plus en plus fréquent chez Speedy. Pour les partenaires, c’est l’occasion d’évoluer dans la profession. Pour les enseignes, celle de rallier des interlocuteurs déjà acquis à leur cause.
D’autres mesures doivent, selon ces experts, être prises pour gagner en attractivité et fidéliser les franchisés. Et notamment « un rééquilibrage des marges ».
Selon Olivier Deschamps, qui a déjà accompagné pour leur lancement en franchise plusieurs réseaux succursalistes, « la tête de réseau doit restituer une partie de la marge qu’elle prend à ses franchisés quand elle leur vend des produits, alors qu’elle n’en prend pas à ses succursales. Soit via les remises de fin d’année, soit en abondant un budget de communication et en l’annonçant. »
« Il faut veiller à l’équilibre franchiseur/franchisés en termes de répartition des gains », confirme Christian Bédrune. Qu’il s’agisse du droit d’entrée, des royalties ou des marges sur les produits. « On rejoint une franchise parce que la formule est génératrice de business. Il faut que la restitution soit gagnante. Les marges des deux parties doivent se trouver au moins dans la norme du secteur concerné. »
« Vous devrez également vérifier que votre politique commerciale respecte l’équilibre entre succursales et franchises, souligne le responsable de GrandVision. Ce que vous mettez en place doit être rentable pour les franchisés ».
« Vos marges doivent être les plus réduites possible, sinon le marché vous rappelle à l’ordre, enchaîne René Prévost. Car plus les marges sont différentes entre les deux réseaux (succursales et franchises), moins le marketing sera performant. Si vous voulez bâtir une opération sur une réduction de prix de 15 %, il faut que les franchisés puissent le faire. »
Dans un ordre d’idées voisin, la concession des zones d’exclusivité territoriale (et les proximités succursales/franchises sur le terrain) constituent un point délicat. « Il faut être prudent et bien délimiter ces zones », note Christian Bédrune, qui croit toutefois à » l’association des puissances, car un magasin trop isolé n’est pas l’idéal ».
« Il faut être très clair sur la zone que l’on concède au franchisé, soutient René Prévost. Il ne faut pas lui donner une zone trop large et venir la lui rogner après. Mieux vaut poser d’emblée qu’il a deux magasins à ouvrir sur son territoire et que s’il ne le fait pas, la chaîne le fera. Mais il faut être très clair. »
Autre clé de la réussite selon Olivier Deschamps : l’encadrement du réseau. Recruter comme responsable de la franchise une personne connaissant déjà le métier de franchiseur, son langage et les us et coutumes du secteur lui apparaît indispensable.
Sur cette question, l’expérience de René Prévost et Christian Bédrune les amène à donner des conseils légèrement différents. L’un comme l’autre s’étant formés eux-mêmes au métier de franchiseur, ont tendance à penser que « ce sont des compétences qui s’acquièrent ».
Mais ils s’accordent avec Olivier Deschamps sur le profil idéal du directeur de la franchise à recruter. « Il va se retrouver face à des gens qui ont investi leur argent. Il va lui falloir faire preuve d’ouverture d’esprit et de souplesse d’organisation tout en restant ferme sur les fondamentaux de l’enseigne, décrit Christian Bédrune. Ne prenez surtout pas un professionnel du succursalisme dont la ligne de conduite serait « Je ne veux voir qu’une seule tête« ».
« Le patron de la franchise devra être disponible pour les franchisés, avoir les moyens de ses ambitions et donc une équipe dédiée, ajoute René Prévost. Il faut qu’il puisse déployer une stratégie et s’y tenir. Les franchisés n’aiment pas les allers-retours dans ce domaine« , souligne celui qui a vu passer plusieurs fonds d’investissement au capital de son entreprise et a, visiblement, toujours su les convaincre (la proportion de franchisés est passée, chez Speedy, de 20 à 40 % entre 2005 et 2015).
Les animateurs de réseau doivent-ils quant à eux être séparés en deux équipes : une pour les franchisés, l’autre pour les succursales ? « De bons animateurs peuvent gérer les deux et apporter aux deux« , estime pour sa part Olivier Deschamps.
Sans doute, Mais… « Le franchisé a besoin d’une organisation qui lui soit dédiée, affirme René Prévost. Il a besoin d’avoir une réponse à ses questions. Il ne doit pas se sentir isolé. Il doit se sentir important dans la structure, écouté« , poursuit le dirigeant qui plaide pour deux organisations séparées (la règle chez Speedy) avec des directeurs régionaux dédiés aux succursales et des animateurs réservés aux franchisés.
« Ce sont deux profils différents, acquiesce Chistian Bédrune, également partisan de la séparation. Nous avons tenté les deux systèmes. Mais à chaque fois que nous avons eu des animateurs mixtes, cela s’est fait au détriment des franchisés. Car ils sont plus exigeants, plus difficiles. Par exemple sur les produits, la qualité, la réactivité, la communication, l’aide à l’amélioration du business, tout ce pour quoi ils payent et attendent de vous voir délivrer le service que vous vous êtes engagés à leur rendre. Quand on veut faire de la franchise, il faut être très « open » sur ce que les franchisés vous demandent.«
« Pour démarrer, on peut prendre des animateurs qui s’occupent des deux (succursales et franchises). Mais dès que vous avez 20 ou 30 magasins franchisés, il faut des animateurs dédiés« , résume l’opticien.
Faut-il, par ailleurs, favoriser les contacts et les échanges entre directeurs de magasins et franchisés ? Olivier Deschamps le recommande. Dans le cadre de commissions mixtes de réflexion sur les problématiques communes (les achats, l’informatique, etc.), ou lors de la convention nationale régulière que doit organiser tout réseau. « A condition d’y organiser aussi des rencontres séparées sur les problèmes spécifiques de chacun, comme la gestion du personnel ».
Un point de vue partagé par les praticiens. « Les échanges sont toujours très riches (lors des conventions ou de séminaires), sur le savoir-faire, la fidélisation des clients, les méthodes de vente, énumère Christian Bédrune (GrandVision). On peut aussi associer les réflexions sur les questions liées au management, aux produits, à la politique commerciale, à la formation. » Ce qui n’empêche pas de mettre en place des commissions séparées sur les thèmes qui le nécessitent.
Chez Speedy, les commissions thématiques préparent le travail du Comité Consultatif d’enseigne qui associe le franchiseur et 12 franchisés élus par leurs pairs. « Il nous arrive, dans certaines commissions métiers, de rapprocher franchisés et responsables de succursales, confirme René Prévost. En revanche, sur des questions comme la gestion d’entreprise ou les marges, problèmes spécifiques des franchisés, nous ne les associons pas.«
« De même, les objectifs étant différents, les conventions nationales chez Speedy ne regroupent pas franchisés et responsables de succursales. Mais l’ensemble du Comité Exécutif participe aux deux types de manifestation« .
Les trois experts s’accordent également sur une question qui leur paraît fondamentale : la nécessité de considérer les franchisés comme de véritables partenaires. « Si j’avais des succursales, je me dirais : quelle chance d’avoir des franchisés qui vont réagir, qui vont se montrer exigeants, expose Olivier Deschamps. Si je diffuse dans mon réseau une mauvaise collection de produits, des vêtements réputés de taille 40 qui sont en fait du 42 par exemple, ils vont me le faire savoir. Sauf exception, les personnels des succursales ne me diront rien. Croyez-moi, la remontée d’information, ça marche avec les franchisés !«
« Les franchisés ont souvent des griefs, confirme René Prévost. Parce qu’ils ont en direct le retour du consommateur. S’ils ont la possibilité de vous en parler, cela vous donne un avantage incomparable. Leur diversité est aussi une richesse. Ils vous renvoient tous les jours aux fondamentaux du métier. Et vous redonnent l’humilité qu’il est facile de perdre quand vous êtes à la direction générale. Chez Speedy, les franchisés font descendre les membres du comité exécutif de leur tour d’ivoire« .
« Les franchisés nous apportent leur professionnalisme, complète Christian Bédrune. Avec des méthodes et des idées que nous pouvons répercuter dans nos succursales. Sur la politique commerciale par exemple. Mais aussi sur le plan conceptuel et architectural : étant confrontés à des surfaces plus petites, ils doivent se montrer imaginatifs. Sur la communication locale. Leur expérience dans de petites villes nous apprend aussi à garder nos clients.«
« Une bonne alchimie avec les franchisés donnera d’excellents résultats, résume René Prévost. A chaque fois que ça n’a pas marché, c’est lorsque la tête de réseau n’a pas écouté les franchisés.«
>Christian Bédrune (Groupe GrandVision) :
« Si l’on veut réussir le virage de la franchise, il faut comprendre que l’on va être amené à penser différemment, à ne plus penser uniquement succursalisme.
Il faudra perdre du temps pour en gagner par la suite. Car c’est un système à double vitesse. En succursale, ce sera simple, en franchise plus compliqué. Il faudra donc penser deux fois… Et vous ne ferez rien si le franchisé n’est pas convaincu« .
>René Prévost (Speedy) :
« Le chef de réseau succursaliste qui veut s’ouvrir à la franchise doit être capable de laisser de côté ce qu’il est au profit de ce qu’il veut devenir.
La franchise nécessite un management différent, un management de conviction et non pas pyramidal. Il faut communiquer avec les franchisés, sur sa stratégie, sur ses résultats. Sinon il ne faut pas faire de franchise.«
>Olivier Deschamps (Cabinet Linkea) :
« La première précaution à prendre, c’est la réflexion. Quand on dirige un réseau qui s’est toujours développé en succursales, il ne faut pas se lancer dans une autre formule sans avoir bien réfléchi. Il faut se demander pourquoi faire – ou ne pas faire – de la franchise (ou de la commission-affiliation). Si vous optez pour la franchise simplement parce que vous en avez entendu parler ou qu’elle vous apparaît comme une bouée de sauvetage, cela risque fort de ne pas fonctionner.«
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