Plus que jamais avec la crise sanitaire, les porteurs de projet en franchise ont intérêt à professionnaliser leur démarche s’ils veulent parvenir à convaincre les banquiers. Deux experts vous délivrent leurs conseils.
« Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les banques prêtent en ce moment », affirme sereinement Benoit Fougerais, directeur général et cofondateur en 2006 de Pret Pro, organisme de courtage en financement, spécialisé en franchise.
A la tête d’un réseau de 40 mandataires répartis sur l’ensemble du territoire – qui ont transmis aux banques quelque 2 500 dossiers en 2020 avec un taux d’acceptation revendiqué de 78 % -, ce membre du collège des experts de la FFF sait de quoi il parle. « Il ne faut pas oublier qu’en moyenne, 65 % du Produit Net Bancaire vient des intérêts perçus sur les sommes prêtées. Alors oui, les banques prêtent toujours, mais, évidemment, avec la crise sanitaire elles regardent les dossiers plus en détail, se montrent plus exigeantes en termes d’apport personnel et vont refuser plus facilement des dossiers mal présentés ou pas accompagnés par un professionnel du financement. »
Un constat partagé en grande partie par Olga Romulus, expert-comptable spécialisée, membre de la direction des relations extérieures de Fiducial et l’une des trois référents franchise des 600 agences de ce réseau. « Les banquiers ont beaucoup prêté aux entreprises depuis mars 2020 et ils vont continuer à le faire. Mais ils ont comme nous un gros problème pour faire confiance aux prévisions. Et, notamment, la question de l’équilibre entre l’apport et l’emprunt est plus que jamais d’actualité. »
Muscler son apport personnel
Malgré la crise sanitaire, les banquiers continuent de prêter aux porteurs de projet en franchise. C’est leur intérêt. Ils se montrent toutefois plus exigeants, notamment en matière d’apport personnel.
Traditionnellement, pour une création d’entreprise en franchise, un taux de 25 à 30 % de l’investissement global était considéré comme nécessaire en moyenne pour obtenir un crédit. Et cela pouvait, selon les secteurs et les projets, être moins encore. « Désormais, 25 % ne suffisent plus », indique Benoit Fougerais.
Conséquence : les futurs franchisés doivent plus qu’hier « muscler leur apport personnel ».C’est pourquoi ce spécialiste qui travaille avec une douzaine de grands réseaux bancaires compte aussi dans ses partenaires « une centaine de financeurs apporteurs de solutions de leasing, de cofinancement, de contre-garantie ou de financements participatifs. »
Un candidat peut, par exemple, faire baisser le montant de l’apport nécessaire à son projet en louant du matériel au lieu de l’acheter. « Ou faire appel à du crowdfunding(argent à rémunérer sous forme de dons), crowdlending (collecté sous forme de prêt) ou equity (participation à votre capital) ». De quoi pouvoir élaborer un plan de financementstructuré. Et trouver les moyens de financer ce que les banques n’acceptent pas de couvrir : BFR, stocks ou achats immatériels.
« Les banques apprécient la présence de financements complémentaires »
Olga Romulus
Partageant la même préoccupation, les experts-comptables Fiducial s’attachent à lister avec les candidats toutes les aides dont ils peuvent bénéficier. « Cela commence avec celles de Pôle Emploi dans le déblocage et le maintien des droits en matière d’indemnités chômage, ce qui dégage plus de cash-flow pour rembourser l’emprunt », souligne Olga Romulus. « Cela continue avec toutes les aides du type France Initiative, Réseau Entreprendre, celles des conseils régionaux, les aides spécifiques si vous êtes une femme et aussi le crowdfunding– auquel je n’aurais pas cru il y a dix ans mais qui entraîne un effet de levier -, de même que le crowdlending qui permet d’aller chercher de l’argent en dehors du cercle familial et constitue une sorte de levée de fonds. »
Les deux experts en conviennent : les banques apprécient la présence de ces financements complémentaires, car cela « leur permet de partager le risque ».
S’appuyer sur une véritable étude du marché local
Trop de candidats franchisés estiment qu’elle est inutile. Or, les experts insistent : plus que jamais une étude d’implantation sérieuse est indispensable. Et il ne faut pas hésiter à solliciter une société spécialisée pour la réaliser.
Si les banquiers se montrent plus exigeants en termes d’apport personnel, le courtier et l’expert-comptable le constatent : ils ne prennent pas forcément plus de garanties qu’avant la crise (ils étaient, il est vrai, déjà à leur maximum…). Les délais de réponse ne semblent pas non plus en hausse. Quant aux refus de dossiers, ils ne seraient pas plus nombreux. Seul bémol selon le dirigeant de Pret Pro, on assiste depuis la fin de 2020 à une « légère remontée des taux », qui restent toutefois « inférieurs à 1 %, ce qui est très bas ».
En revanche, selon Olga Romulus, « les banquiers se montrent très attentifs à l’adéquation homme/projet et à la maîtrise du business plan par le candidat. » Elle aussi membre du collège des experts de la FFF, l’expert-comptable insiste, dans cette perspective, sur la question de l’étude de marché, qui permet de déterminer le chiffre d’affaires prévisionnel : « Très souvent, les candidats ne font rien sur le sujet et cela me désole,révèle-t-elle. Ils font confiance. La confiance en franchise c’est important, sans doute, mais c’est quand même l’entrepreneur qui prend les risques ! Pour moi, une étude d’implantation est indispensable. Et ce n’est pas au franchiseur ni à l’expert-comptable de la réaliser. Cela coûte 3 000 € environ chez Territoires et Marketing par exemple. A comparer avec le fait d’engager parfois toutes ses économies dans un projet, d’hypothéquer sa maison, etc. »
« Le recours à une société spécialisée en marketing est devenu une absolue nécessité »
Benoit Fougerais
Pour Benoit Fougerais, recourir à ce type de société spécialisée est même devenu une absolue nécessité. « L’étude de marché réalisée par le franchisé dans son coin, cela pouvait encore passer avant. Maintenant, il y a trop d’incertitudes. »
« Rien ne remplace une base de données puissante, acquiesce Olga Romulus, et le travail de spécialistes qui vont aller récupérer les chiffres de la concurrence, etc. » Mais, nuance-t-elle, « c’est utile aussi d’aller sur le terrain, surtout si votre futur secteur géographique n’est pas trop étendu, de visiter les points de vente concurrents, d’effectuer une étude de fréquentation. »
La praticienne, qui avoue demander très souvent aux candidats de se procurer des données, explique qu’en tant qu’expert-comptable, elle peut vérifier la cohérence des conclusions d’une telle étude avec les données sectorielles dont elle dispose, mais qu’elle ne peut pas indiquer au futur franchisé le montant du CA qu’il va réaliser.
Actualiser le chiffre d’affaires prévisionnel
En cette période d’incertitudes majeures, les prévisions de chiffres d’affaires et de résultats sont plus délicates que jamais. Les banques veillent à ce que les nouveaux risques soient bien pris en compte par les porteurs de projet.
Si les experts insistent tant sur l’étude de marché, c’est qu’elle est déterminante pour établir le compte prévisionnel. Lequel doit être particulièrement cohérent pour convaincre lebanquier. « Les prévisions de chiffre d’affaires et de résultat sur trois ans, c’était déjà difficile avant. Maintenant, on ne sait plus. L’observation du passé n’est pas suffisante et se projeter dans l’avenir est devenu très compliqué, observe Olga Romulus. Alors, nos interlocuteurs bancaires ont tendance à toujours se baser sur le passé, mais à le dégrader. Là où avant on pouvait réaliser un CA de 1 million, mécaniquement, ils vont regarder si l’on a bien appliqué une réduction de 20 %, si l’on a bien intégré les nouveaux risques. »
« Les banquiers vont regarder si l’on a bien appliqué une réduction de 20 % à nos prévisions habituelles. »
Olga Romulus
« Il ne faut pas oublier de minorer les prévisionnels de 30 % par rapport à l’habitude dans l’hôtellerie-restauration », estime même Benoit Fougerais, un secteur où il voit se multiplier les projets de rachat d’affaires. Ce n’est pas nécessaire à son avis dans les autres activités.
Les deux experts se montrent très en alerte encore sur un même point : veiller à ce que le premier bilan soit, au moins, à l’équilibre. Et pour cela, que le premier exercice ne se termine pas automatiquement au 31 décembre de l’année d’ouverture et même ne soit pas forcément limité à 12 mois. « La loi en autorise 24 », rappelle le courtier. En tout cas, si malgré tout, c’est à une perte que l’on aboutit, « il nous faut vérifier que le concept permet un décollage pour les deux exercices qui suivent », avertit l’expert-comptable.
Savoir bien présenter sa demande de financement
Dans le dossier de financement, la présentation de l’enseigne, du projet et du futur franchisé doivent être particulièrement soignées. Lors du rendez-vous avec le banquier, le candidat peut, bien sûr, se faire accompagner. Mais surtout, selon l’un des experts, il doit pouvoir tout expliquer lui-même.
Dernier point, mais pas le moindre, à réussir plus que jamais selon le réseau Pret Pro – qui accompagne les candidats chez le banquier – : la présentation du dossier (dont il se charge). « Il faut mettre en avant l’enseigne (avec un focus sur ce qu’elle a fait pour ses franchisés face à la crise sanitaire par exemple), exposer clairement le projet et bien présenter le candidat lui-même, liste le directeur général. Nous ne pouvons pas dire dans quelle proportion, mais nous sommes certains que cela pèse vraiment dans la décision de la banque. »
Pour Fiducial, qui conseille de s’adresser et de se faire accompagner par plusieurs banques (dont, pourquoi pas la banque Fiducial), « le banquier doit sentir le professionnalisme de la démarche. Le dossier doit être complet et maîtrisé. Le candidat doit être capable de tout expliquer lui-même ». «Si le banquier sent qu’il a en face de lui une personne sérieuse et impliquée dans son projet, cela fera la différence », soutient Olga Romulus. Et elle en est convaincue : « Si 2021 risque d’être une année particulière, les banquiers ne vont pas arrêter de financer ». Mais « plus que jamais, les porteurs de projets devront s’entourer de spécialistes pour augmenter leurs chances. »
« Pour décrocher un crédit, il faut s’entourer de spécialistes à chaque stade de la démarche. »
Benoit Fougerais
Benoit Fougerais ne dit pas autre chose : « Si l’on se franchise,c’est parce que l’on n’a pas envie de se lancer tout seul. C’est pour cela que l’on s’adosse à un franchiseur. Il faut aller au bout de cette démarche et s’adresser à une structure spécialisée pour trouver son emplacement, à un spécialiste du marketing pour son étude de marché, à un expert-comptable pour son prévisionnel et à un courtier en financement – non rémunéré par les banques – pour trouver les moyens financiers nécessaires. » Pour lui aussi, en 2021, il faudra se faire accompagner encore plus qu’avant et « savoir s’entourer d’experts pour réussir son lancement ».