Face à la reprise d’un réseau de franchise suivi d’un changement d’enseigne, comment franchisés et franchiseur peuvent-ils négocier ? Que dit le droit et quelles sont les possibilités ?
On ne peut pas changer l’enseigne sans l’accord du franchisé
De plus en plus de réseaux de franchise en rachètent d’autres. Parfois avec, au programme, la disparition de l’enseigne acquise et son remplacement par l’enseigne du repreneur. L’exemple récent du rachat de Quick par Burger King montre combien il peut s’agir d’une opération délicate pour les deux parties.
Mais d’abord, que dit le droit ?
« Le franchisé a signé un contrat dont l’enseigne constitue un élément essentiel. Et même fondateur, avec le savoir-faire et l’assistance », explique Maître Laurence Vernay, avocate spécialisée en franchise (Cabinet Saje pour Adventi Franchise). « Dans l’absolu, il n’est donc pas possible de changer l’enseigne sans l’accord du franchisé. Si le franchisé n’approuve pas le changement, le franchiseur doit attendre la fin du contrat. Car, comme l’indique le Code civil : « les conventions tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites » ».
« Le nouvel article 1195 du Code civil, entré en vigueur le 1er octobre 2016, précise même que « les contrats ne peuvent être modifiés ou révoqués que du consentement mutuel de parties » (…) Et stipule que si un « changement imprévisible de circonstances (entraînant un investissement trop élevé) pour l’une des parties » intervient, (comme une reprise du réseau et/ou un changement d’enseigne donc), celle-ci est en droit d’exiger une renégociation du contrat. »
Le cas des reprises à la barre du tribunal
La situation peut être un peu différente si l’enseigne, en difficulté, est reprise à la barre du tribunal. « Dans ce cas, le repreneur choisi par les juges a en général expliqué à l’avance pourquoi le changement d’enseigne est la meilleure solution pour tenter de sauver l’activité et les emplois », développe Laurence Vernay.
« Le contrat de reprise prévoit les conditions de transfert des contrats de franchise. Parfois, sans être systématique, quand le franchisé ne veut pas être repris, il sort. En revanche, s’il suit, il peut difficilement soutenir qu’il ne veut pas changer d’enseigne. »
Une jurisprudence plus souple depuis l’arrêt Esthetic Center ?
Certains avocats estiment cependant que la jurisprudence serait désormais plus souple pour les franchiseurs. Notamment depuis l’arrêt de la Cour de cassation du 19 janvier 2016. Arrêt qui a validé la transformation (en 2006) par son repreneur de l’enseigne Epil Center en Esthetic Center. Ce que contestait un ex-franchisé.
Toutefois, le raisonnement des magistrats dans ce litige montre que les règles de bases sont maintenues. D’abord, le changement d’enseigne s’accompagnait selon eux « d’une extension des prestations proposées à la clientèle » devant « entraîner une progression du chiffre d’affaires » (On passait de l’épilation à un institut de beauté généraliste). Ensuite, il était proposé aux franchisés (et non imposé) « dans des conditions raisonnables de délai, sans investissements lourds et sans modification ni du contenu ni de l’objet du contrat initial ».
Enfin, le franchiseur avait « maintenu la promotion de ses deux enseignes et fait des annonces publicitaires en les associant, (…) sans délaisser l’exploitation de la marque (initiale) ». Marque que la quasi totalité des franchisés avaient abandonné au profit de la nouvelle.
Bref, l’accord des franchisés a été recherché – et obtenu – et le contestataire isolé qui avait résilié ses contrats a été débouté.
Changement d’enseigne validé, mais sous conditions
Par un arrêt du 1er juin 2016, la cour d’appel de Paris a validé de manière très voisine le passage (en 2010) sous enseigne Jardiland du réseau Vive le Jardin.
Pour les magistrats, « rien n’interdisait à la société Jardiland de réorganiser ses réseaux, ce qui pouvait entrainer la disparition de l’un d’eux ». Dans la mesure toutefois où les franchisés avaient eu « un temps suffisant pour (…) assurer leur sortie » (jusqu’à la fin de leur contrat, trois ans après l’offre) et « dès lors que les obligations du franchiseur précisées dans le contrat (ont été) respectées jusqu'(à son) terme prévu » pour les franchisés qui refusaient le changement.
La cour relevait également le caractère non-obligatoire de l’offre du franchiseur. Par ailleurs, là aussi, 90 % du réseau cible avait accepté la mutation.
Ce que les franchisés peuvent négocier
Si, en matière de changement d’enseigne, rien ne doit être imposé, tout peut être négocié.
Sauf exception, le repreneur est, a priori, intéressé par les emplacements des franchisés et cherche à les maintenir dans le réseau. S’il veut les passer sous son enseigne, il a intérêt à le faire vite, pour ne pas avoir trop longtemps deux réseaux différents à animer (ceux qui basculent et les autres).
Tant que les franchisés n’ont pas changé d’enseigne, en effet, il hérite des obligations du contrat de son prédécesseur. Et doit assurer livraisons, animation, innovation et communication pour l’enseigne acquise…
De leur côté, que peuvent faire les franchisés ? Notamment ceux qui ne veulent pas adopter l’enseigne et le concept du nouveau franchiseur ?
« Quand un franchisé veut sortir, il peut tenter de vendre son fonds de commerce au franchiseur ou à l’un des autres franchisés (quand la valeur du fonds est très liée à l’enseigne par exemple) », explique Maître Laurence Vernay.
« Il peut aussi demander que soient levées les clauses de non-concurrence et de non-affiliation post-contractuelles (qui lui interdisent de rallier un réseau concurrent, voire de poursuivre la même activité pendant un an et parfois plus, ndlr) ainsi que la clause indemnitaire de résiliation anticipée. Il peut même réclamer une indemnité transactionnelle, dans la mesure où chaque partie subit un préjudice (la perte d’un franchisé pour la tête de réseau, la perte d’un fonds pour le franchisé). »
« Tout dépend de la durée du contrat restant à courir »
« Tout dépend du poids de négociation du franchisé, c’est à dire de la durée du contrat et de ce qui reste à courir », souligne la spécialiste. « Si le contrat est de 7 ans et qu’il en reste 5, le franchisé est en position de force. Davantage que s’il lui reste seulement un an ou deux (dans ce cas, le franchiseur peut plus facilement attendre la fin de la convention). »
« Mais le franchisé qui veut rester peut négocier lui aussi (s’il dispose par exemple d’un emplacement qu’il sait stratégique pour le repreneur) et tenter de lui faire prendre en charge tous les frais du changement d’enseigne », observe l’avocate.
« La première chose à faire quand on est franchisé, résume l’experte, c’est d’évaluer son poids de négociation. Et se demander quel est le risque sur mon bail, sur mon contrat ? Quelles vont être mes futures conditions d’achat ? Que font les autres ? Vais-je me trouver minoritaire ? Isolé ? (Dans ce cas, attention). »
Masterfranchisés et Autorité de la Concurrence
La problématique est la même concernant les masterfranchisés.
« Les mêmes règles s’appliquent, précise Maître Vernay. A savoir la force obligatoire des contrats. On doit respecter les termes contractuels. On ne peut pas tout modifier du jour au lendemain. Et il n’y a pas d’indemnité à espérer pour le masterfranchisé si le franchiseur ne touche pas au contrat avant sa fin. »
« Si le master choisit de rester (et de changer d’enseigne), il peut dire à ses franchisés, par exemple, qu’il les accompagnera. »
« S’il sort, il peut laisser à ses franchisés la possibilité de signer directement avec le repreneur ou avec un autre master. Et puis chacun se sépare. Là encore, tout est à négocier. Rien ne peut être imposé. »
Quand la fin de certains contrats de franchise est imposée …
Il arrive, quand les réseaux concernés par l’opération de reprise occupent une place prépondérante sur le marché, que l’Avis de l’Autorité de la Concurrence soit nécessaire. Et que celle-ci exige, dans son rôle de contrôleur des concentrations, que le repreneur mette fin à certains contrats de franchise (de l’enseigne acquise et/ou du réseau acquéreur).
« Le franchisé ne peut pas s’opposer à ce type de décision, souligne Maître Laurence Vernay. Même s’il invoquait la résiliation abusive de son contrat (par le franchiseur), le juge ne la lui accorderait pas puisque le franchiseur ne fait que suivre l’Avis de l’Autorité de concurrence. »
« En revanche, le franchiseur, lui, peut négocier avec l’Autorité un délai pour fermer ces magasins. Deux ans, trois ans, le temps d’arriver à la fin de quelques contrats par exemple. »
« Le franchisé a tout intérêt pour sa part à faire valoir tout de suite le nombre d’années de contrat qui lui reste à courir et à se déclarer prêt à une fermeture rapide moyennant une indemnité. Il peut aussi tenter d’obtenir la possibilité de continuer son activité en solo ou avec un autre réseau.
Le franchisé doit également prendre en compte le risque lié aux loyers à payer jusqu’à la fin de son bail s’il ne parvient pas à vendre son affaire à un tiers. »
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Baux commerciaux avec clauses d’enseigne et location-gérance
Les choses se compliquent parfois, en cas de reprise du réseau avec changement d’enseigne, quand le franchisé est lié à son bailleur (en centre commercial par exemple) par une clause d’enseigne. Dans ce cas, son bail n’est valable que s’il garde cette enseigne.
« Il faut en parler tout de suite au bailleur, conseille Maître Vernay, afin de savoir si la marque qui arrive lui convient ou non. Dans certains secteurs, comme le prêt-à-porter à partir du moment où la chaîne a une bonne notoriété, la négociation est facilitée. Pour les supermarchés, c’est différent.
La négociation devient alors double : avec le franchiseur et avec le bailleur. Si le bailleur refuse le changement d’enseigne, le franchisé peut se retourner vers le nouveau franchiseur pour négocier avec lui une indemnité (liée à la perte de son bail) ou pour lui demander de prendre en charge tout le coût du déplacement ».
Le cas des locataires-gérants
Et qu’en est-il des locataires-gérants comme les franchisés Quick par exemple ? N’étant pas propriétaires de leur fonds de commerce, ils ne peuvent pas le revendre…
« Si le loueur est aussi le franchiseur (comme dans le hamburger par exemple), le contrat de location-gérance est lié au contrat de franchise. Si le franchisé perd l’un, il perd l’autre », explique la spécialiste.
« Si le franchiseur attend la fin du contrat de franchise, le contrat de location-gérance s’arrête sans faute de sa part. Dans ce cas, le franchisé perd tout. Si le franchiseur veut aller vite, il va indemniser. Quick, par exemple, a économiquement plus intérêt à ce que les restaurants basculent vite (sous l’enseigne Burger King) et donc à payer vite plutôt qu’à faire durer.
Pour le franchisé locataire-gérant, la marge de négociation est la même que pour le franchisé propriétaire de son fonds. Plus il lui reste d’années de contrat, plus il est fort. »
Conseils aux franchiseurs : d’abord un audit de tous les contrats
« Ce qui est intéressant avec la franchise, c’est la souplesse de négociation qu’elle permet, comparé aux baux commerciaux par exemple, très encadrés par la loi. On est dans le contractuel. On peut négocier », résume Maître Laurence Vernay. « Même si c’est souvent plus inconfortable pour le franchisé que pour le franchiseur », reconnait-elle.
Pour les franchiseurs précisément, racheter un réseau – surtout si les franchisés y sont nombreux – est une opération délicate. Les franchisés ne sont pas des employés devant exécuter des ordres. Ils sont des entrepreneurs indépendants. Et on ne peut pas leur imposer un changement d’enseigne, mais aussi, de fait, de savoir-faire et d’assistance, sans leur accord, sans leur adhésion.
Quand un franchiseur veut avaler un réseau concurrent, il peut donc avoir intérêt à se montrer prudent, voire à avancer par étapes.
« Il doit d’abord procéder à un audit des contrats, conseille Laurence Vernay. Vérifier notamment s’ils prévoient bien qu’en cas de changement de direction du réseau, le franchisé a donné son accord par avance. Sinon, cela complique encore les choses.
« Ensuite, il doit regarder la durée restante de chaque contrat (les plus faciles à négocier seront ceux où il reste deux ans maximum). Puis avec son expert-comptable et son DAF, il doit évaluer les risques financiers des transactions sur chaque franchisé. Déterminer les emplacements intéressants et les autres et les marges de négociation.
« Autre point : si le réseau repris risque de passer par exemple de 100 à 50 points de vente, il doit anticiper la perte de poids de négociation vis à vis de sa centrale d’achat éventuelle (sur les MDD surtout).
« La négociation de prévente peut alors commencer. Le repreneur peut expliquer au cédant, au vu du nombre de franchisés avec qui il lui faudra négocier, que le prix demandé doit être revu ou qu’une garantie d’actif doit être établie. »
Prévoir un grand travail d’accompagnement en amont
« Il faut s’assurer en amont que les franchisés vont adhérer à l’opération », recommande pour sa part Rozenn Perrigot, universitaire spécialisée en franchise. « Cela dépend entre autres de l’historique des relations entre les deux chaînes. Il est difficile de racheter un concurrent qui vous a critiqué ouvertement ».
Il faut aussi « se demander ce que l’on va leur apporter de plus par rapport à l’existant, en termes de savoir-faire, d’assistance, de présence digitale, d’image de marque. Dans ce type d’opération, l’aspect culturel est aussi primordial », complète l’expert.
« Un grand travail d’accompagnement en amont doit être prévu, ajoute Laurence Vernay, (pour les réseaux importants en tout cas, là où les négociations d’achat peuvent durer des mois, où l’Autorité de la concurrence aura à se prononcer, etc.) Cédant et repreneur doivent expliquer la stratégie sans faire peur. Justifier la nécessité du changement d’enseigne. Décrire ce qui se passe si elle n’a pas lieu. S’inscrire dans l’intérêt général de la marque mais expliquer aussi à chaque franchisé ce qu’il va y gagner.
« Le franchiseur qui cède son réseau a intérêt à faire accepter le changement, à faire accepter sa stratégie. Le repreneur veillera ensuite à garder les équipes en place, à aller voir les franchisés.
Quand les conditions économiques sont bonnes, il n’y a, en général pas de problème. Quand ce n’est pas le cas, c’est plus difficile. »
La transition doit être rapide
Attention toutefois à ce que la période de transition ne soit pas trop longue. « S’il faut 5 ans pour basculer tout un réseau, un concurrent succursaliste peut aller plus vite. Aujourd’hui, avec les nouveaux business models, le cross canal, etc., il faut pouvoir muter rapidement. Ce qui compte pour un réseau n’est pas forcément de devenir plus gros, mais plus agile. Si le processus de reprise et de transformation des points de vente est trop long, on a peut-être intérêt à ne pas reprendre », conclut la spécialiste.
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