Comment rebondir grâce à la franchise malgré la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19 et ses conséquences économiques difficiles à prévoir ? Franchise Magazine a posé la question à quatre spécialistes du modèle. Découvrez leurs réponses et conseils pour surmonter la situation actuelle et préparer l’avenir.
Après avoir fait face au (premier) confinement et ses impacts sur l’activité, puis au déconfinement et aux contraintes à respecter pour redémarrer, comment rebondir malgré la Covid-19 ? Franchise Magazine a posé la question à quatre spécialistes du modèle, réunis début septembre 2020 en « visio » : Sylvain Bartolomeu, consultant associé chez Franchise Management, Sandrine Lagier, expert-comptable In Extenso, Cécile Peskine, Avocate associée au Cabinet LinkeA et Florence Soubeyran, responsable marchés Commerce et Franchise Banque Populaire (Groupe BPCE).
Quel a été l’impact de cette crise sur l’activité des réseaux ?
« C’est variable en fonction des secteurs, constate Sylvain Bartolomeu. Certains ont été complètement sinistrés, avec des enseignes historiques en très fortes difficultés : l’évènementiel, le tourisme, la restauration assise pendant le confinement, l’intérim… Et d’autres qui se portent très bien, qui ont su surfer sur la vague : amélioration de l’habitat, jardineries, alimentaire, électroménager high tech, bazar, restauration rapide : en fait, il y a eu un report des achats. »
Basée en région Auvergne-Rhône-Alpes, Sandrine Lagier confirme cette analyse : « Dans des secteurs comme les services à la personne, la rentrée est un indicateur qui va donner le rythme de l’année et malheureusement, pour l’instant, c’est quand même très compliqué, en tout cas sur Lyon intra-muros, car beaucoup de parents continuent à faire du télétravail. A contrario, dans l’électroménager, des franchisés ont subi la fermeture pendant le confinement, avec des têtes de réseau qui ne voulaient pas proposer le Drive ; donc ils ont été un peu frustrés. Mais post-confinement, ils ont connu une reprise « canon », avec des samedis de soldes pendant plus d’un mois ! »
Quel sera son impact sur leur pérennité ?
Pour Sylvain Bartolomeu, il faut distinguer plusieurs catégories d’acteurs : ceux qui n’étaient structurellement pas adaptés ont été très fortement impactés parce qu’ils avaient des fragilités, comme certaines enseignes de restauration à thème ou de prêt-à-porter. « Pour tous les achats qui peuvent se reporter rapidement sur le web, c’est très compliqué », souligne le consultant.
Pour ceux qui étaient déjà un peu fragiles structurellement et manquaient d’agilité, les difficultés n’ont fait que se cumuler, comme l’illustre l’exemple de la livraison pour les réseaux de restauration : « Ceux qui étaient déjà partenaires avec des agrégateurs comme UberEats et Deliveroo bénéficiaient de négociations commerciales plutôt avantageuses, explique Sylvain Bartolomeu. Mais évidemment, ces plateformes n’ont pas accordé aux derniers arrivés le même taux de commissionnement qu’aux premiers entrants : il peut varier de 16 % chez certaines enseignes à 30 % pour des petits indépendants. Ça change tout pour le modèle économique ! »
Quid des relations franchiseurs-franchisés ?
Selon Sandrine Lagier, « les réseaux ont généralement essayé d’accompagner leurs franchisés ou d’être arrangeants dans la mesure du possible. Mais cet accompagnement a lui aussi été assez disparate : j’ai vu des cas où le franchiseur a mis beaucoup de pression pour être payé de ses redevances ou de ses produits pendant le confinement. Cela a été très moyennement apprécié par les franchisés, évidemment ! »
Sur la question des redevances, « la plupart du temps, c’est un pourcentage sur le chiffre d’affaires donc, quand il n’y a pas de CA, il n’y a pas de redevance, observe Sylvain Bartolomeu. Néanmoins, il fallait aussi que les têtes de réseau se préservent, c’est largement dans l’intérêt des franchisés, donc il fallait trouver un équilibre pour chacun ».
Le consultant a pour sa part vu des réseaux qui, « pour une bonne partie d’entre eux, ont quand même su s’adapter, faire preuve d’agilité. Beaucoup sont montrés réactifs pour trouver des nouveaux canaux de distribution et sont aujourd’hui en réflexion pour consolider et structurer certaines adaptations qu’ils pensaient très temporaires, car bricolées avec du scotch et de la ficelle ! »
Mais la crise a également révélé des difficultés managériales, reconnaît Sylvain Bartolomeu : « Certains franchiseurs se sont égocentrés et n’ont pas compris qu’il fallait dépasser le cap du contrat : on n’était plus dans une relation contractuelle, mais dans une relation exceptionnelle où ils devaient dépasser leur rôle, dans l’intérêt de leurs franchisés, surtout quand ils avaient une trésorerie ou une structure qui pouvait le leur permettre ».
Des conflits au sein des réseaux sont en train de se multiplier, annonce le consultant : « Parce qu’il y a des franchisés qui disent au franchiseur : « Vous ne m’avez pas aidé alors qu’au départ, j’ai acheté une aide, un soutien. » »
Pendant le confinement, Cécile Peskine, a été « très agréablement surprise » par des franchiseurs « qui étaient pas mal chahutés par leurs franchisés de manière récurrente, pour des raisons légitimes ou pas et qui, finalement, ont réussi à changer complètement l’ambiance dans le réseau en redoublant d’efforts, en créant des cellules de crise. Ils ont su sortir du rôle de franchiseur, pour aller beaucoup plus dans la psychologie et ont vraiment su enrichir leurs liens avec les franchisés, à la fois sur le volet opérationnel mais aussi sur le volet humain. C’est là, pour moi, que l’on a vu la force du réseau ! »
Pour Sylvain Bartolomeu, la clé pour pouvoir rebondir, « c’est la capacité du franchiseur à outrepasser les règles écrites qui étaient formalisées jusqu’à présent. En fait, on était sur un bateau de plaisance qui a été impacté par une tempête phénoménale : le comportement du skipper ne doit plus être le même car sinon, on met du doute. Le leader, c’est quand même le franchiseur : c’est l’instigateur de l’état émotionnel du réseau. Or, certains se sont liquéfiés par rapport à cette crise, quand d’autres ont réussi à passer le cap, à se dire : « On reste solide » et à redonner de l’énergie positive ».
Comment rebondir ?
Pour Florence Soubeyran, la crise constitue « un tremplin absolument phénoménal pour la digitalisation, essentiellement dans le commerce. En effet, soit les outils de digitalisation ont été démultipliés, soit ils ont été mis en place, soit ils sont encore en réflexion pour certains réseaux, mais aujourd’hui ces outils semblent totalement incontournables pour tous, ne serait-ce que pour garder la relation avec le client », affirme-t-elle.
« Le digital doit être placé au cœur, il faut soigner la relation client, c’est la base du commerce et il aurait fallu évoluer dans tous les cas », confirme Cécile Peskine. Qui recommande également d’anticiper « la paupérisation de la société qui va découler de la crise » : « Je pense que c’est un peu comme ce qui s’est passé après la crise financière de 2008 : le luxe avait tiré son épingle du jeu, mais aussi le mass market, le low cost, rappelle l’avocate. Soit on se dit : « Je suis sur un créneau mass market » et il faut mettre l’emphase sur des prix bas avec des produits simples. Et peut-être, essayer de garantir une traçabilité, une origine locale, ou un savoir-faire si on est dans le service. Soit on est sur le haut de gamme, et son se dit qu’il faut peut-être franchir le gap et passer sur du premium pour se démarquer. Et, pour les réseaux qui ont une marque française, jouer la carte France, un peu luxe. »
« La crise constitue un tremplin absolument phénoménal pour la digitalisation, essentiellement dans le commerce.»
Florence Soubeyran
Quels conseils donnez-vous aux têtes de réseau ?
Sandrine Lagier aimerait que les franchiseurs insistent auprès de leurs franchisés sur la mise en place d’outils financiers de reporting, et de suivi de trésorerie. « On voit bien que dans les réseaux où le franchiseur est promoteur sur ce type d’outils, les franchisés s’équipent, souligne l’expert-comptable. Alors que, si ce n’est pas le cas, on n’a même pas un tableau de bord tous les mois sur des boutiques qui peuvent faire entre 2 et 5 M€ de chiffre d’affaires ! Il me paraît primordial au regard de cette crise de s’équiper, d’être accompagné et d’anticiper tous les remboursements à venir, parce que si les dirigeants d’entreprise ne prennent pas leurs responsabilités, cela va devenir compliqué. »
Logiquement, le conseil de Florence Soubeyran est de prendre en compte, dans les dossiers de demandes de prêts, l’évolution des modèles économiques sous l’impact de la crise sanitaire : « Certains franchiseurs ont pris en compte les chiffres réalisés après la crise de 2008 pour réajuster leurs prévisionnels sur cette même base, indique-t-elle. Il faut effectivement disposer de tableaux de bord pour le suivi du quotidien, à la fois pour le pilotage des points de ventes existants et contribuer à la construction du modèle de demain : les modèles économiques sont à adapter et à actualiser. »
« Il faut se poser, revoir le business model vis-à-vis des candidats à la franchise, réajuster la stratégie de développement, et en amont, repenser ce qu’on développe », estime Sylvain Bartolomeu. Pour cela, le consultant recommande aux franchiseurs de faire un retour d’expérience : « C’est-à-dire un bilan de ce qui a marché, de ce qui a été vécu et surtout remettre du sens. Parce que les enseignes doivent rentrer dès maintenant dans une animation très musclée sur l’économique et sur le concept, mais au micro-détail et parfois à distance, ce qui n’est pas si simple que ça ».
« Il faut vraiment faire le job de franchiseur, complète Cécile Peskine. On ne peut pas se barricader derrière le fait qu’il y a un virus qui circule pour ne plus aller chez les franchisés : ne faire que de la visio dans une animation de réseau, je trouve ça dramatique ! On est quand même dans le commerce, dans l’humain donc le visio, c’est génial mais, quand on prend des royalties de 3 à 8 % sur le chiffre d’affaires, pour moi ce n’est pas suffisant ! »
« Franchiseurs, faites vraiment votre job d’accompagnement et ménagez-vous la preuve de ce que vous faites ! »
Cécile Peskine, Avocate associée au Cabinet LinkeA
Conseils aux futurs franchisés : est-ce le bon moment pour se lancer ?
« La question que je dois me poser si je veux devenir franchisé, pour Sylvain Bartolomeu, c’est : « Suis-je capable d’ouvrir une entreprise en contexte de crise ? Est-ce que je suis un skipper de plaisance, capable de naviguer en pleine tempête ? » Je pense aussi que c’est une question que les franchiseurs doivent poser à leurs candidats. »
« Il faut revoir les critères de sélection des candidats côté franchiseur, estime le consultant. Et côté candidat franchisé, se poser vraiment la question : « Est-ce que je suis capable d’être agile, réactif, de me lancer dans un contexte compliqué avec peu de visibilité ? » Une aventure entrepreneuriale, cela demande de la solidité familiale, une assise financière, un peu de recul et surtout beaucoup d’humilité. »
« Ce qui a vraiment changé dans le modèle de la franchise, constate pour sa part Florence Soubeyran, c’est qu’il avait cette vertu de réitération : on a créé une réussite et on duplique cette réussite. L’environnement n’est plus le même et n’est pas stabilisé, donc les incertitudes sur l’économie de demain et d’après-demain ont un impact sur les modèles économiques et sur les business plans présentés. Nous sommes donc contraints d’être d’autant plus vigilants sur de nombreux critères lors de l’étude d’un dossier de création. »
Est-il plus difficile d’obtenir un financement pour un projet de création d’entreprise en franchise ?
« Notre métier est exactement le même : accompagner des projets qui ont toutes les chances de réussir, répond Florence Soubeyran. Mais l’environnement économique a changé, nous nous devons de ne pas inviter les entrepreneurs en franchise à aller vers des projets qui seront potentiellement trop complexes dans ce contexte ». En résumé : ce ne sont pas les conditions d’octroi de crédit qui sont durcies, c’est l’environnement qui rend les choses plus délicates. Ainsi, « la règle des 30 % d’apport personnel n’a pas changé et reste une sorte de référentiel, le niveau d’apports requis dépend avant tout de la rentabilité d’exploitation prévisionnelle. Nous avons aujourd’hui moins de certitudes sur la capacité à réaliser ce prévisionnel, il est important qu’il y ait une marge de manœuvre afin que le franchisé ne se retrouve pas dos au mur dès qu’il connait une baisse d’activité ou un démarrage plus lent qu’attendu ».
Pour Sandrine Lagier, l’assise financière va devenir primordiale : « Avec des porteurs de projets qui étaient très justes en termes d’apport, on arrivait parfois à aller chercher des financements complémentaires qui faisaient que ça pouvait passer : je ne suis pas certaine qu’aujourd’hui, ce genre de compléments suffira pour convaincre ». Au-delà du volet financier, l’expert-comptable juge indispensable « que les franchiseurs soient encore plus regardants qu’avant sur le profil des porteurs de projet : il faut bien avoir conscience de ce qu’est un entrepreneur et de ce que cela implique d’entreprendre en période de crise, avec toutes les difficultés à prévoir sur les deux années à venir ».
« Il est indispensable que les franchiseurs soient encore plus regardants qu’avant sur le profil des porteurs de projet. »
Sandrine Lagier, expert-comptable In Extenso
Les réseaux de franchise sont-ils mieux armés pour surmonter cette crise ?
« On est plus fort en réseau, martèle Cécile Peskine. On est plus fort à plusieurs et on est forcément plus fort avec une enseigne qui a une notoriété, un concept qui est éprouvé, mais qui peut évidemment être repensé, un savoir-faire et un vrai accompagnement. Derrière, il y a une contrepartie qu’on ne paye pas en étant indépendant isolé, mais je pense que la force du réseau et de l’enseigne a fait ses preuves. Donc c’est un facteur de réussite pour un nouvel entrepreneur de se lancer en franchise plutôt que seul. »
« Les franchisés apprécient par-dessus tout le partage d’expérience, le fait d’échanger entre pairs : c’est cela l’état d’esprit et la force d’un réseau », estime Florence Soubeyran Elle reste « intimement convaincue que le modèle de la franchise a de très nombreux atouts. Tout comme nous attendons des franchiseurs qu’ils soient agiles, nous attendons que le modèle de la franchise continue d’innover ».
« L’indépendant a vraiment souffert pendant cette crise de l’isolement qu’il peut ressentir, rapporte Sandrine Lagier. A contrario, faire partie d’un réseau et bénéficier d’un soutien dans ces moments-là me paraît être une vraie force. Cela fait partie du job de la tête de réseau : derrière la redevance, elle doit apporter un service et être présente ! »
« Quand on est indépendant, seul, sans enseigne et sans soutien, absorber en peu de temps la masse d’informations nécessaire pour redémarrer après le confinement, c’est quasiment impossible, observe Sylvain Bartolomeu. C’est pourquoi la franchise a montré à quel point le modèle était capable de provoquer une accélération par la répartition des tâches entre le franchisé, qui est sur le terrain, et tout le support du siège. Pour faire une analogie avec le sport, c’est comme le coach, le préparateur physique, le diététicien etc. qui sont là pour donner un confort d’exercice à celui qui joue sur le terrain ».
« Si je devais créer une entreprise, j’irais vers la franchise, c’est évident !, conclut Sylvain Bartolomeu. Mais je n’irais vers n’importe quel franchiseur : j’irais vers ceux qui ont su réagir et assister vraiment leurs franchisés pendant cette phase de crise. »