De plus en plus connectées, les enseignes n’en restent pas moins timides dès lors qu’il s’agit de vendre par internet. Toutes prônent les vertus de l’omnicanal. Mais à peine plus de la moitié ont sauté le pas du e-commerce.
Alors que tous ou presque utilisent internet pour présenter leurs produits ou services, indiquer la localisation de leurs points de vente et recruter de nouveaux franchisés, seuls 54 %* des franchiseurs avaient en 2017 sauté le pas du e-commerce. Leur proportion progresse : ils n’étaient qu’un tiers cinq ans plus tôt. Mais elle progresse lentement. Bien trop, estiment certains conseils des têtes de réseaux, qui pointent un véritable « non-sens » à l’heure ou explosent les usages en ligne. A l’opposé, les défenseurs des franchisés, plus sceptiques, pointent les dangers que le web marchand fait peser sur la cohésion et les performances des chaînes de magasins physiques. Et appellent à la prudence.
Un franchiseur sur deux pratique le e-commerce
Gaëlle Toussaint-David est des premiers. L’avocate, conseil des franchiseurs (Cabinet Simon Associés), se dit « surprise » du nombre de ses clients qui n’ont pas encore de site de vente en ligne. « Peu de secteurs d’activités peuvent aujourd’hui se passer du e-commerce. Et cela vaut aussi en franchise », estime-t-elle. Alors, qu’est-ce qui freine les enseignes ? « Des questions de coût et de logistique, d’abord. Créer un site marchand de bonne qualité demande des investissements conséquents. Au départ mais pas seulement, puisqu’il faut faire en sorte qu’il reste bien référencé dans le temps », souligne l’avocate.
Vendre en ligne suppose aussi d’avoir les moyens de livrer ses clients, en point relais ou à domicile. Sans compter que le code de la Consommation prévoit désormais un délai de rétractation de 14 jours pour les achats à distance. « En magasin, un commerçant n’est pas tenu de reprendre un produit non défectueux. En ligne, cette obligation pèse sur lui comme une épée de Damoclès. Si le client se rétracte, il faudra non seulement le rembourser mais aussi prendre en charge les frais de retour », explique Gaëlle Toussaint-David. Qui comprend, dès lors, que certains s’interrogent sur l’opportunité de se lancer et prévient : « le modèle n’est pas si rentable qu’il y paraît ».
*Source : Enquête Banque Populaire/Fédération française de la franchise
E-commerce : un élément perturbateur pour les réseaux ?
Il y a l’envie d’y aller… Et il y a la manière. En 2017, des universitaires français ont analysé en profondeur les sites e-commerce de 136 franchiseurs* de différents secteurs, tailles, anciennetés et structures organisationnelles. Résultat ? « La plupart sont loin d’être optimaux en termes de contenus, à la fois s’agissant de la recherche d’informations sur les produits et services proposés et de la conclusion de l’achat elle-même », relève Rozenn Perrigot, Professeur à l’IGR-IAE Rennes et co-auteur de l’étude avec Thierry Pénard, lui aussi chercheur au CREM.
Leurs recherches montrent par ailleurs que « plus le pourcentage d’unités en propre dans un réseau est élevé, plus le site web offre une expérience d’achats en ligne optimisée ». En outre, « plus les réseaux sont « âgés » (en termes d’ancienneté sur le marché), moins ils sont susceptibles de développer et de promouvoir des canaux en ligne ». Une question de génération ? Sans doute, l’engagement d’une enseigne dans une stratégie de e-commerce reposant aussi sur l’appétence de son dirigeant et de ses équipes pour le sujet.
Savoir rassurer ses franchisés : une nécessité
« Il est d’autre part plus compliqué de s’engager dans une stratégie e-commerce quand on craint la résistance des franchisés, explique Rozenn Perrigot. Les réseaux naissants intègrent l’omnicanal à leur concept dès le départ et le proposent tel quel aux candidats. Il est beaucoup plus difficile de développer le e-commerce a posteriori, quand le réseau de points de vente physiques préexiste, cette vente en ligne peut alors représenter un profond bouleversement pour certains des franchisés ».
Dans le cadre de leurs recherches, Rozenn Perrigot,
Guy Basset et Gérard Cliquet* ont interviewé une cinquantaine de franchisés d’enseignes converties au commerce en ligne. Ceux-ci considèrent le développement du e-commerce dans leurs réseaux comme « inéluctable ». Il n’en est pas moins perçu par certains comme un « perturbateur », voire une « concurrence ». « On observe chez les franchisés un vrai besoin d’être rassurés, confirme la chercheuse. Le franchiseur doit évidemment garder son rôle de précurseur, de personne qui a la vision, sur son métier et l’avenir de son réseau. Mais il doit aussi prendre soin d’expliquer sa démarche. La transparence et l’humain sont ici primordiaux », souligne-elle.
*Pénard T., Perrigot R. (2017), Onsline search – Online purchase in franchising : An empirical analysis of franchor website functionality, Journal of Retailing and Consumer Services, 39, 164-172.
L’exclusivité territoriale en question
Légalement, rien n’oblige une tête de réseau à jouer collectif en la matière. « Une enseigne peut lancer son site marchand sans consulter ses franchisés », rappelle l’avocate Gaëlle Toussaint-David. Opportun ? « Tout dépend de l’état d’esprit du réseau. Si les franchisés sont demandeurs, mieux vaut les impliquer. S’ils sont plus passifs, ce n’est pas forcément nécessaire ».
Rien ne les contraint, non plus, à partager le fruit des ventes réalisées en ligne. Y compris sur les zones d’exclusivité de ses franchisés. En 2017, 6 % des franchiseurs avaient ainsi fait le choix d’un site entièrement dédié à leur profit. Les Cours françaises et européennes l’ont rappelé, la création d’un site marchand par un franchiseur « n’est pas assimilable à l’implantation d’un point de vente dans le secteur protégé » du franchisé. Autrement dit, même si le franchiseur s’est engagé à garantir, sur un territoire donné, l’exclusivité à son franchisé, il peut tout à fait y vendre les mêmes produits, y compris à des tarifs moins élevés. Un autre motif d’insatisfaction relevé par la chercheuse Rozenn Perrigot. « Nos travaux montrent que certains franchisés vivent aussi le e-commerce comme une façon indirecte pour le franchiseur d’imposer ses prix ».
Ventes en ligne : comment impliquer ses franchisés ?
Plus le temps passe, plus la tendance est toutefois, en matière de e-commerce, à des stratégies réfléchies et participatives. Le franchiseur peut vendre en ligne pour son seul compte, mais proposer à ses e-acheteurs le click and collect gratuit dans les magasin les plus proche de chez eux. « Même s’il garde pour lui le fruit de la vente, il génère alors du trafic chez ses franchisés, soit la chance élevée d’un possible retour, notamment dès lors qu’il s’agit de petits produits peu chers », souligne Gaëlle Toussaint-David. Un « cercle vertueux », estime-elle, qui a l’avantage de faire venir en magasins des internautes qui ne l’auraient pas fait sans cela.
Une majorité d’enseignes impliquent toutefois financièrement leurs franchisés à leur stratégie e-commerce. En 2017, 16 % des enseignes déclaraient ainsi gérer la relation commerciale en ligne mais verser une rétribution à leurs franchisés. Et 40 % laisser à leurs franchisés tout le bénéfice des ventes réalisées dans leur zone.
Une stratégie étonnante, pour l’avocate du cabinet Simon Associés. « En franchise, quand on rend un service il doit être rémunéré. Là, c’est générer du chiffre d’affaires chez ses franchisés sans contrepartie ». A vrai dire, si le coût de la création d’un site marchand est en général supporté par la tête de réseau seule, ses frais de fonctionnement sont souvent en partie couverts par les redevances publicitaires. « Un site bien fait et bien référencé est un outil de notoriété », note Gaëlle Toussaint-David.
Limiter les initiatives isolées
L’enjeu de l’implication est aussi celui de l’unité. Car, rappelons-le, un franchiseur lui non plus, ne peut empêcher ses franchisés de créer leur propre site marchand. La situation n’est pas fréquente, elle n’en représente pas moins un vrai risque pour l’image de marque des enseignes. « On nous consulte de plus en plus souvent pour des problèmes de pollution par les sites satellites des franchisés, souvent de qualité médiocre, mais parfois mieux référencés que le site de la marque lui-même ! », constate l’avocate Gaëlle Toussaint-David. Pour qui c’est surtout là que se joue l’enjeu d’une stratégie concertée et globale.
« La peur que peut générer le e-commerce dans les réseaux de franchise est disproportionnée par rapport à la réalité des flux », Gaëlle Toussaint-David.
D’autant que la peur que génère l’e-commerce dans les réseaux de franchise est parfois disproportionnée par rapport à la réalité des flux. Les franchiseurs sont peu enclins à communiquer sur la part de leur chiffre d’affaires réalisé en ligne. Mais pour une majorité (57 %) ce ne serait guère plus que l’équivalent de cinq magasins. Et pour 31 %, moins de ce que réalise un seul point de vente de leur réseau.
L’avis de l’avocate : « Parlez du e-commerce dans votre contrat »
- Proposez une définition claire et précise de la zone d’exclusivité du franchisé. Précisez si elle recouvre l’utilisation de la marque, la vente des produits, l’exploitation d’un magasin… Intégrez-y la mention que cette exclusivité ne fait pas obstacle à des ventes passives dans la zone. Vous n’avez pas besoin d’être plus précis.
- Les clauses relatives au e-commerce, distinctes de la précédente, doivent surtout cadrer les conditions d’utilisation de la marque, pour vous protéger de toute dérive. Attention : ces conditions ne peuvent être plus restrictives qu’en magasin.
- N’indiquez pas dans le contrat si, et le cas échéant à quelle hauteur, vos franchisés seront rétribués sur les ventes réalisées en ligne. Cela relève de votre liberté.