A quoi ressemblera le paysage commercial dans dix ans ? Comment les réseaux auront-ils évolué pour répondre aux attentes de leurs clients, de leurs salariés et de leurs membres ?
Le paysage commercial de 2024 n’est plus celui de 2014 : en dix ans, les tendances de consommation, mais aussi les canaux de vente et de communication ont évolué. Une évolution progressive le plus souvent : les secteurs porteurs d’hier ne sont plus forcément ceux d’aujourd’hui, et certaines enseignes leaders à l’époque ont été dépassées depuis. Le changement a parfois été plus brutal : la crise Covid a ainsi entraîné une digitalisation à marche forcée des échanges. Et dans des activités comme l’habillement, la restauration ou l’équipement de la maison, les difficultés liées en partie à la conjoncture se sont traduites, notamment sur l’année 2023, par des défaillances d’enseignes.
Qu’en sera-t-il dans dix ans ? Pour en avoir un aperçu, nous avons demandé à des experts de la franchise de se livrer à l’exercice de la prospective, en essayant d’imaginer à quoi pourrait ressembler le paysage commercial de 2034. Quelles seront les attentes des franchisés, de leurs salariés, de leurs clients ? Comment les enseignes devront-elles se transformer pour s’adapter à cette nouvelle donne ?
Responsabilité sociale et environnementale : toujours plus
Une tendance appelée à s’amplifier dans les années à venir concerne l’éco-responsabilité. Selon la 19ème édition de l’Enquête annuelle de la franchise, « la déontologie et la politique RSE du franchiseur constituent des critères observés au moment de choisir un réseau ». Une préoccupation partagée par les consommateurs, puisque près de 9 Français sur 10 « attendent de leurs commerçants qu’ils s’engagent activement » dans ce domaine.
Pour Laurence Vernay, avocate associée chez TGS France, « l’évolution des réseaux ira de pair avec l’évolution des business model et avec la façon dont les commerces, les entreprises devront réaliser du business en intégrant la notion de responsabilité sociale et environnementale. Car les générations présentes et à venir auront de plus en plus besoin de sens, et de ce rapport à l’environnement. Les nouvelles générations ont un rapport au travail différent, et sont de plus en plus sensibles à l’impact qu’elles peuvent avoir sur la société, que ce soit en tant que consommateurs ou au sein de leur entreprise : la jeunesse a envie d’avoir un impact plus positif sur la Terre et l’environnement, mais aussi sur la société de façon générale, donc de s’inscrire dans une démarche plus responsable. »
Les entrepreneurs de demain, dont les futurs franchisés ou coopérateurs, tendent eux-mêmes à adopter une approche plus responsable en matière sociale, sociétale et environnementale. Ce qui imposera aux têtes de réseau de faire évoluer leur relation avec leurs membres, par exemple en termes d’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. « Même un entrepreneur franchisé sera sans doute plus touché par des business model qui permettront cet équilibre vie pro/vie perso, y compris dans sa relation avec le franchiseur et dans le rythme que sollicite le business model pour pouvoir bien fonctionner, explique Laurence Vernay. Par exemple, dans la restauration, cela pourrait passer par des préconisations différentes dans l’organisation du travail du franchisé et de ses salariés. »
Equilibre économique, transparence et éthique
Autre exemple d’évolution à prévoir dans la relation franchiseur–franchisé : tendre vers davantage d’équilibre économique. « Il va être encore moins acceptable d’imaginer, demain, un franchisé un peu « vache à lait », estime l’avocate. Cela veut dire que le franchiseur devra justifier ses droits d’entrée, justifier un équilibre du donner-recevoir. Le partage de la valeur est un des axes forts de la RSE, et cela va devenir indispensable dans une relation de transparence et d’éthique avec les franchisés, afin d’assurer une pérennité de la relation par l’équilibre économique ».
Enfin, dans le domaine de l’environnement, le business model de nombreuses enseignes est appelé à se transformer sur plusieurs aspects, depuis l’offre clients jusqu’à la façon d’animer le réseau, « avec sans doute un petit peu plus de visio pour limiter l’impact carbone, suggère Laurence Vernay. Mais la façon dont le franchisé va exercer son métier devra aussi changer, par exemple dans les métiers qui sont de gros consommateurs d’eau, ou encore d’énergie. D’autant plus que les banques, qui financent les projets de création, seront de plus en plus sensibles à ces aspects environnementaux ».
Convaincue que les entreprises seront les plus grandes actrices de la RSE, Laurence Vernay estime que la franchise « répond à la logique du territoire : au plus proche des consommateurs, elle permet de ne pas passer par internet. Au travers de ses plans de formations à l’écologie et à l’impact social et sociétal, le rôle du franchiseur sera très intéressant, car il sera démultiplié par le nombre de ses points de vente en propre et en franchise, en France et à l’international. De ce point de vue, les franchiseurs auront une responsabilité encore plus importante parce qu’ils auront un impact encore plus fort. »
Vers plus d’omnicanalité
Si le commerce électronique n’a pas remplacé le commerce physique, comme les bouleversements provoqués par la crise Covid ont pu le faire craindre, l’un des enjeux des dix ans à venir consiste sans doute, pour les réseaux, à articuler le plus efficacement possible leurs différents canaux de vente, dans une approche dite omnicanale ou phygitale. Cette capacité constituera un aspect important dans le savoir-faire du franchiseur, tant les outils disponibles sont complexes à mettre en œuvre par un commerçant indépendant isolé. C’est notamment le cas de l’exploitation des données clients, ou datas, comme l’explique Virginie Sablé, Directrice développement chez CSA Géostratégie : « Les datas ont déjà de l’importance, mais ce sera encore plus vrai demain, car les programmes de fidélisation permettent de tracer la fréquence des achats, les comportements, les rayons fréquentés, les paniers moyens, etc. Or, ces données permettent de mieux comprendre le marché et, pour une enseigne, de segmenter ses clients, de personnaliser les offres, de mieux comprendre les différences d’un point de vente à l’autre, d’optimiser des opérations marketing et d’améliorer l’expérience globale du client ».
Les données clients : toujours plus importantes
Concrètement, CSA Géostratégie s’appuie sur un panel consommateur de 42 000 répondants, mesuré localement par bassin de vie, au travers de questions portant aussi bien sur leur patrimoine financier ou leur implication dans la vie locale que sur leurs habitudes de consommation : vont-ils chez les commerçants de proximité ou dans les grandes surfaces, quelle est la grande surface qu’ils fréquentent, etc. « Ce questionnaire est très large, ce qui nous permet d’avoir une vision holistique du comportement des ménages, souligne Virginie Sablé. Et donc d’identifier la ou les cibles des enseignes sur un territoire, et aussi l’intensité concurrentielle ». De fait, ces données clients guideront la stratégie d’implantation des réseaux, et les aideront à choisir les meilleurs emplacements pour ouvrir des points de vente en propre ou en franchise.
Mais l’exploitation fine de ces datas peut avoir d’autres applications, comme par exemple la « la création d’une offre qui résonne avec les valeurs et les aspirations des consommateurs », comme le formule Virginie Sablé : « Notre connaissance granulaire des ménages peut permettre à une enseigne de proposer des produits ou des services complémentaires à une partie de sa clientèle qui pourrait être intéressée ».
Les datas : un outil pour le commerce omnicanal
Enfin, les données clients permettront de mieux cibler la communication des réseaux, afin de générer du trafic pour le commerce physique ou, sur les territoires qui ne sont pas couverts par un magasin en dur, pour le commerce digital, et ainsi d’amener « plus de fluidité pour l’omnicanal », pointe Virginie Sablé. « L’analyse des datas aide à personnaliser la stratégie de communication en multi local, souligne-t-elle. Par exemple en se basant sur le parcours d’information des clients ciblés par bassin de vie, en utilisant les leviers de communication qu’ils déclarent préférer (affichage, PQR, prospectus…). Et même en combinant ces différents supports, avec une pression plus ou moins forte, afin de fidéliser ces clients, d’en conquérir de nouveaux ou encore de personnaliser les offres en fonction des temps forts de l’année. » Autant d’outils marketing qui seront pilotés par la tête de réseau, pour mieux accompagner ses membres sur leur territoire.
Paroles d’expertes
« Aujourd’hui, pour choisir entre différentes enseignes, les candidats se basent sur la notoriété et sur les performances financières. Demain, estime Laurence Vernay, le franchiseur devra aussi présenter son impact carbone dans son business model et démontrer ses engagements en matière de respect des normes éthiques et juridiques, et de transparence. »
Pour Virginie Sablé, « l’utilisation croissante des données clients par le franchiseur dans sa prise de décision (par exemple, pour lancer un nouveau service ou un nouveau produit) va rassurer le franchisé, en amenant plus d’objectivité et de transparence. L’analyse des datas favorisera une décision éclairée et un alignement stratégique entre les franchisés et leur tête de réseau ».